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le baiser d’une morte.

il y a bien vingt ans aujourd’hui, et sa tombe, qui se trouve là-bas dans le coin du cimetière, entre celle de Jacques Labrèque et d’Ignace Fréchette, n’a plus même sa croix.

Elle a vieilli, puis est tombée, elle aussi !

Ces paroles étaient dites, au début de la veillée de Noël 1869, par mon grand-père Mathurin, qui assis tranquillement dans sa berceuse, se chauffait tout frileux auprès du poêle bourré d’érable pétillant, et fumait doucement sa pipe d’argile, pendant qu’il remontait ainsi le cours de ses souvenirs de jeunesse.

— Notre village ne connaissait à le Chasseur qu’une manie et une passion.

Jamais il ne sortait de l’enclos de sa maison, que le dimanche pour aller à la messe ; mais en revanche, chaque soir, il jouait du violon, et, chose curieuse, disait le passant attardé, son archet se faisait entendre dans chaque chambre comme s’il y eût eu quatre exécutants. Vers dix heures, les lumières de la maisonnette s’éteignaient, et le lendemain, le père Chassou, comme on l’appelait, arrosait ses plantes, sarclait ses plates-bandes, émondait ses arbres, échenillait ses légumes ; puis, la veillée revenue, il recommençait sa causerie nocturne avec le mystérieux instrument.

Dès la nuit tombante, sur leur part de paradis, les plus braves ne se seraient pas approchés de la palissade noire qui entourait le réduit de le Chasseur, car, depuis bien des années déjà, le bonhomme Ouëllette —