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à la brunante

celui qui guérissait le mal de dents, au moyen d’un charme — avait dit confidentiellement à toute la paroisse, que le violon du père Chasseur servait à entretenir des communications avec les esprits.

On avait bien, dans le temps, essayé de faire causer la vieille servante Zélie ; mais elle avait ri au nez des curieux, leur montrant quatre dents couleur de cuivre verdegrisé, et jamais l’indiscrétion villageoise n’avait pu dépasser ces redoutables incisives.

Mon intimité avec le père Chassou débuta par un temps de valse.

Un soir qu’il pleuvait et que mes cordes étaient dilatées par l’humidité, je brisai la chanterelle de mon violon. Québec est à trois grandes lieues de la maison ; il faut en faire autant pour revenir, et comme je devais, ce soir là, achever la dernière partie d’un quadrille promis pour la noce de Jacques Morigeot, j’allai tout tremblotant frapper à la porte du père Chassou.

Il jouait en ce moment un fort beau morceau que, malgré ma frayeur, je reconnus être de Mozart, et, tout en conduisant son archet sur les cordes harmonieuses, s’en vint ouvrir lui-même.

Sa tête était couverte d’une tuque rouge d’où s’échappaient quelques mèches d’un blond grisonnant ; il se trouvait en bras de chemise, ce qui faisait ressortir sa charpente osseuse, et son air était franchement bourru.

— Bonsoir, M. le Chasseur, pardon de vous déranger.