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à la brunante.

Alors elle se levait lentement, et s’en allait, appuyée sur sa canne de frêne, l’enlever des mains du petit Charles endormi.

Elle baisait avec ferveur le saint souvenir ; ses lèvres tremblaient en murmurant l’Ave, et ses doigts roidis et noués par l’âge couraient pieusement sur les dizaines, à la file les unes des autres. Pour elle, la soirée s’envolait ainsi, portée par les anges aux pieds de Marie, et ce fut comme cela que le chapelet devint un des plus grands enseignements de notre famille.

Si vous vous en souvenez bien, nous étions une nichée de dix à la maison. Or, petit à petit, chacun de nous avait fini par sortir la tête hors du nid. L’imprudent mesurait l’espace un instant, battait de l’aile, puis finissait par prendre sa volée.

Les uns partirent pour l’étranger, d’autres pour le collège, d’autres encore pour le couvent, et un jour, grand’mère se trouva seule avec le petit Charles.

Que de douces choses et de leçons salutaires durent sortir de ce tête-à-tête d’un siècle presqu’entier, et d’un enfant de huit ans ; car mère-grande en était arrivée à ces moments que l’Écriture appelle les années qui ne plaisent pas, et elle avait quatre-vingts ans comptés.

Inquiet et toujours souffreteux, l’aiguillon du mal avait développé l’intelligence de Charles qui ne cessait de s’enquérir de tout et sur tout. Grand’mère mettait alors à son service sa longue expérience