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à la veillée.

Urbain Blais, un cabaleur émérite à qui chaque élection faisait des petites rentes ; on sait que vous êtes franc comme le bois de votre mât de misaine.

— Merci, mes enfants, merci. Je vous dirai donc qu’il y a sept ans, étant à Sainte-Anne de la Pocatière, j’ai eu l’insigne honneur de souper avec le Juif-Errant.

C’était un grand vieillard dont le visage était tellement recouvert par sa longue barbe blanche que cheveux, favoris, moustache, barbiche se trouvaient dans un pêle-mêle indébrouillable, et n’offraient qu’un court espace pour laisser percer les éclairs fauves qui se dégageaient de ses prunelles noires. L’estomac appuyé sur la table, la tête courbée dans son assiette, il se maintenait dans une position qui ne me permettait pas de juger de la fraîcheur du costume que portait le contemporain de Dieu ; mais l’énorme toison blanche de mon vis-à-vis et le gigantesque gourdin appuyé auprès de l’horloge étaient plus que suffisants pour arrêter mes soupçons.

Sans prendre le temps d’achever mon souper, j’avertis cinq matelots de mon équipage, et nous courûmes nous placer sur le pont Saint-Denys, de manière à intercepter l’éternel marcheur. À peine étions-nous installés en embuscade, que nous aperçûmes dans la nuit sombre scintiller les fils d’argent de la barbe du juif.

Il passa ; tous nous lui adressâmes un respectueux bonsoir, et lui fîmes des offres d’hospitalité ; mais lui, sans répondre à nos civilités, continua son