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le baiser d’une morte.

— C’est mon fils qui est prêtre là-bas. Ah ! plût au ciel que je ne me fusse jamais marié !

— Bah ! qui n’a pas eu ses malheurs domestiques ! dis-je en cherchant quelque part au fond de mon verre, une parole de consolation.

— Oh ! non pas pour moi, fit-il en soupirant ; mais pour le repos de ma mère.

J’allongeai doucement les jambes sous la table, pour mieux écouter le récit qui perlait sur les lèvres du père Chassou, au milieu des gouttelettes parfumées du Constance.

Il continua d’une voix altérée.

— Elle n’était pas trop jolie, mais assez bonne pour être sainte ; pourtant ma mère n’en voulait pas. J’étais jeune alors, et avec mon violon, elles étaient les trois personnes que j’aimais le plus au monde, car, apprends une chose Mathurin, celui qui créa le premier violon savait bien ce qu’il faisait en y mettant une âme ; il y laissa glisser la sienne.

Je me rappelle comme si c’était hier, le jour de notre première rencontre.

On faisait la fenaison dans une prairie voisine de l’emplacement où demeurait ma mère. Nous n’étions pas riches, et, pour gagner quelque chose, j’avais prêté à M. Bédard, propriétaire du champ, l’usage de mes deux bras ; ils fauchaient, fanaient, et engrangeaient à raison de deux francs par jour ; ça n’était pas cher, mais alors nous ne passions pas par les temps durs d’aujourd’hui.