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histoire de tous les jours.

Selon l’habitude, on était venu me charger — moi — sans expérience et sans barbe — de faire la leçon aux vieux de la charrue, et de les diriger dans leur choix.

Ce fut sur les hustings que je rencontrai Paul.

Comme moi, il avait pris son rôle au sérieux.

Juché sur le haut de la traditionnelle tribune rouge qui flâne à la porte de l’église de presque chacune de nos paroisses, il haranguait les paysans du village. Sa voix claire et sympathique laissait tomber sur eux les grands noms de nationalité, de patriotisme, de religion. La sainteté de ces mots s’imprégnait dans ses paroles, et elle se traduisait par cette conviction magnétique qui ondule un instant au-dessus de la foule attentive, pour mieux se répandre plus tard en frissons d’enthousiasme.

Tout le monde applaudissait à outrance à la nomination du candidat de Paul, et j’étais un des plus rudes claqueurs de l’auditoire, en ma qualité de partisan de M. Bour.

Maintenant que je connais les hommes pour ce qu’ils valent, la rougeur me vient au front rien qu’à écrire ce nom de Bour.

Son portrait est pourtant nécessaire à mon récit.

Juif de naissance, greffé, je ne sais trop comment, sur notre nationalité, il s’était enrichi en tripotant dans ses plaidoiries le bien et le mal avec une même dextérité. À force de tout soupeser dans la balance