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histoire de tous les jours.

Alors il se voyait consacrant la fin de sa jeunesse, tout son âge mûr, aux devoirs de sa charge ; puis lorsque la main de la vieillesse se serait appuyée sur son épaule, il partait pour les Cèdres avec Noémie et achetait la maisonnette où il avait appris ses premières leçons de douleur. Là, il lisait, étudiait, cultivait sans bruit son jardinet, veillait de temps à autre au presbytère et reprenait le lendemain cette vie, jusqu’au moment où, sa mission remplie, il irait se coucher à côté de son père dans le cimetière de la paroisse.

Ces propos que nous menions si lestement ensemble, il les tenait aussi avec Noémie la brune, qui allait grandissant et s’enjolivant à vue d’œil.

Quelquefois Mademoiselle Jeanne, apportant sa laine et son tricot, venait y prendre part : alors la fête était complète.

Petite, maigrette, figure franche et sympathique, nature de sœur de charité, Mademoiselle Jeanne était un de ces types que le vulgaire poursuit de son sarcasme en laissant tomber sur eux, dès que la trentaine a sonné, l’impitoyable nom de vieille fille.

Vieille, elle l’était, malgré ses trente-cinq ans, si l’on peut appeler vieille une femme qui a refusé d’aller s’agenouiller au pied de l’autel, la tête emmaillotée de fausses nattes, le cœur vide, le pied légèrement courbé sur le sentier de la coquetterie, la main délicatement posée sur le bras de l’homme assez riche pour se payer le fantôme de l’amour. Vieille, elle l’était, s’il suffit pour cela d’avoir été froissé par les rudes battements de la conscience humaine ouverte à tous