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le baiser d’une morte.

perron que, naïf enfant j’avais joué aux marbres avec mes camarades d’école : sur la petite passerelle en pin qui menait à l’étable, je voyais encore les traces qu’avait creusées le clou de nos toupies. Partout les souvenirs de jeunesse se dressaient devant moi, et parfois oublieux du triste départ de celle que j’aimais tant, il me semblait que la porte s’entrouvrait et que ma bonne mère paraissait sur le seuil, avec sa câline de toile blanche sur la tête, sa robe de barège retombant en longs plis noirs sur ses pieds, et ses aiguilles à tricoter à la main, me disant de sa voix douce :

— Édouard, n’oublie point de donner du foin à Rougette.

Pour moi ces souvenirs se groupèrent encore plus poignants autour de mon cœur, quand il me fallut entrer dans la maison et recevoir de l’exécuteur testamentaire, l’inventaire de ce qui me revenait.

Tout était comme au jour de mon abandon. Son lit en palissandre revêtu de sa courte-pointe de laine grise rayée de larges barres bleues, l’image de la Sainte-Vierge clouée au chevet, au-dessus du petit bénitier en faïence blanche où nageait encore le rameau qui avait été béni l’an dernier. Elles étaient encore là ces vieilles chaises en paille, du haut desquelles, nous avions éparpillé si souvent nos douces causeries du soir, et dans un coin, tout auprès du grand coffre peint en rouge, où elle mettait sa literie, ses bas de laine et ses quelques livres de dévotion, sommeillait le paisible rouet, témoin de notre dernier entretien.