Page:Faucher de Saint-Maurice - À la brunante - contes et récits, 1874.djvu/7

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Cette terrible vision m’était racontée, il n’y a pas bien longtemps de cela, sur les bords poétiques de cette rivière de Saint-François de la Beauce, que nous avons eu tant de plaisir à côtoyer ensemble.

Elle me remit en tête un projet que nous avions eu, celui d’écrire sous la dictée du peuple, ces mille et un riens si poétiques qui, lorsque tombe la brunante[1] et s’allonge la veillée, accourent à tire-d’aile hanter les coins du feu de notre cher pays.

Spectres, fantômes, sorciers, feux follets, lutins, jongleurs, loups-garous, marionnettes, chasse-galerie, tout devait trouver une honnête place dans notre manuscrit, et c’était toi-même qui avais fait les parts.

Tu prenais pour lot les émouvantes apparitions de la forêt, les contes naïfs des « gens de la cage » qui descendent l’Ottawa et le Saint-Maurice, les histoires énergiques et sauvages du chasseur et du trappeur des solitudes de l’Ouest.

Moi, il me fallait courir le golfe Saint-Laurent, et en rapporter ses ballades tristes comme son flot verdâtre, et ses récits brumeux.

Nous nous séparâmes.

Depuis, nous avons fait ce que l’homme ne cesse de faire dans la vie :

Nous avons oublié.

  1. Si le lecteur se met à la recherche de ce mot, il feuillettera le dictionnaire de l’Académie sans le trouver. C’est un néologisme canadien français pur sang, et m’est avis qu’à « la brunante » est beaucoup plus harmonieux et plus poétique que son synonyme français : — « sur la brune. »