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à la brunante.

la cheminée, il venait agoniser sur le bon feu de bouleau rouge qui pétillait, tout ravivé par le contact de la bise d’automne.

Le fleuve était moutonneux ; il faisait froid dans les champs : au loin, un volier d’outardes remontait du golfe en découpant le ciel gris de son vol triangulaire et, tout en fumant ma pipe, le nez sur la vitre brumeuse, je me mis à songer aux choses du temps passé.

Ce fut alors que je commençai à me trouver vieilli ; car ce jour-là, c’était jadis la fête du père Michel Larivée, un vieillard qui avait enduré et dorloté mon enfance.

Depuis longtemps, il dormait son somme sans nul souci des choses de ce monde, et pourtant il me sembla qu’à cette heure de rêverie, cela ferait plaisir aux os verdis de mon vieil ami, si je pensais à lui, et si je faisais une place à sa pauvre âme frileuse, tout à côté de la mienne qui en ce moment se chauffait à la sève et au meilleur sang de la vie.

Penché sur mes souvenirs, je vis alors — comme il y a vingt-cinq ans — poindre sur la lisière grisâtre du chemin du roi un petit chapeau de paille recouvert de toile cirée.

C’était le père Michel : il était bien reconnaissable à son gilet de bouragan, à ses pantalons tout rapiécés et à la longue perche de ligne qu’il tenait à la main.

À mesure qu’il approchait, on voyait son nez bourgeonné s’illuminer de joie ; il riait, le pauvre