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à la brunante.

vées sur la côte escarpée qui surplombe la toiture rouge et pointue du vieux moulin banal, il fallut s’arrêter.

Le père Michel s’était penché sur une grosse pierre moussue qui masquait la racine d’une souche à demi-brûlée. D’un poignet vigoureux, il la déplaça et tirant hors de cette armoire improvisée une petite gourde, il avala quelques gouttelettes d’eau-de-vie ; puis, replaçant le tout d’une main adroite, il continua le récit pour l’achever à la fin de la grande Anse qui aboutit au petit cap.

Pour ne pas perdre de temps, en route nous avions déroulé nos lignes ; je puisai dans sa provision de vers de terre, et bientôt nos appâts gisaient au fond du fleuve, à la grâce de Dieu.

Quand il pêchait, le père Michel devenait silencieux comme une roche.

Parler empêchait le poisson de mordre, disait-il, et puis il se complaisait à laisser errer ses idées au fil du courant.

Je savais cette manie par cœur, et pour rien au monde je n’aurais pris sur moi de le déranger.

De temps à autre, néanmoins, il se tournait à demi de mon côté pour me faire une question sur le dernier livre que j’avais lu ; car il était curieux comme une belette, le père Michel.

Je le lui faisais connaître brièvement, et sa pensée taciturne ne tardait pas à aller se replonger dans la monotonie de la vague.