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pour des galeries étroites, des corridors d’arènes, des arcs-de-triomphe, tandis que dans les églises romanes elle s’étend d’un bout à l’autre de la nef. C’est un demi-cylindre concave, un berceau renversé, dont les bords reposent sur les murs. Contre la voûte sont plaqués de distance en distance des bourrelets de pierre formant cintres, les arcs-doubleaux. Craignant toujours que les murs ne s’écartent sous la poussée oblique de cette masse, les architectes construisent des murs épais, percés de rares fenêtres, des piliers d’une rotondité massive, des contreforts extérieurs qui épaulent solidement les murailles.

« L’édifice roman ne s’élance pas vers le ciel. Il se cramponne au sol de sa masse lourde et puissante. Il donne une impression de solidité massive et de triste obscurité, mais aussi de majesté simple. Les architectes apprirent d’ailleurs à vaincre leur timidité et ils construisirent au xiie siècle, des édifices beaucoup moins pesants et plus lumineux. Les clochers surtout donnèrent de l’élan à la masse accroupie de l’église romane.

« Il est difficile de savoir comment est né l’art roman, sous quelles influences romaines ou orientales il s’est formé. Mais ce qui est certain, c’est qu’il brilla surtout en France, particulièrement dans la France de langue d’oc, où s’était mieux conservée la culture antique ».

Les nombreuses œuvres qu’il produisit, tout en ayant un air de famille très apparent, présentent de province à province de notables différences. Les églises d’Auvergne : Saint-Nectaire, Issoire, Notre-Dame du Port, à Clermont, sont les exemplaires les plus simples, les plus nets, les plus complets de l’art roman. Celles de Bourgogne aux tours octogonales et leurs voûtes de berceau brisé sont plus audacieuses. Le chef-d’œuvre est celle de Cluny, construit de 1089 à 1115. En Provence, les églises sont plus sombres, à cause de la hauteur des bas-côtés. Dans le Périgord et l’Angoumois, églises à coupoles : Saint-Front de Brigneux, Saint-Pierre d’Angoulême, auxquelles il faut joindre Notre-Dame du Puy rappellent Sainte-Sophie et Saint-Marc de Venise. Les églises normandes : l’Abbaye-aux-Hommes, l’Abbaye-aux-Dames, de Caen, trop hautes, ne purent être voûtées et furent couvertes de charpentes, que plus tard remplacèrent des voûtes ogivales.

En Italie, l’art roman est surtout représenté par le dôme de Pise ; dans la vallée rhénane, les cathédrales de Bamberg, de Spire, de Worms, de Mayence. En Angleterre, le style roman prit le nom de style normand.

En ce qui concerne l’architecture gothique, Jules Bouniol s’exprime ainsi, et il est impossible de mieux dire :

« Au moment même où l’art roman s’épanouissait et produisait ses plus belles œuvres, naissait un style nouveau qui devait le supplanter. Les Italiens du xvie siècle, Raphaël le premier, dit-on, l’appelèrent gothique, c’est-à-dire barbare, et l’historien de l’art italien, Vasari, a popularisé cette expression dédaigneuse. En réalité, l’art gothique est français, on l’appelait au Moyen-Âge « le style de France » (opus francigenum). Il n’est nullement établi que ses éléments essentiels aient été inventés dans le pays de France, au sens ancien du mot, c’est-à-dire dans la région parisienne, ni même dans le royaume de France. Mais c’est entre la Somme et la Loire qu’il a donné ses premiers chefs-d’œuvre ; c’est de là qu’il a rayonné dans le monde chrétien ; ce sont les « maîtres de l’œuvre » et même des ouvriers de France qui sont allés former et diriger les artistes des autres pays.

Les sombres édifices romans convenaient aux pays du Midi, où la lumière abonde. Pour les églises du Nord, il fallait percer les murs de fenêtres plus larges

et plus hautes. Comment assurer leur solidité et soutenir le poids de la voûte ? Le problème fut résolu par l’invention de la croisée d’ogives et de l’arc-boutant.

« La voûte gothique n’est pas un berceau, un demi-cylindre continu. Elle est divisée en compartiments ou travées, que limitent les arcs-doubleaux. Chacune de ces travées est une voûte d’arête, formée de quatre triangles concaves. Le long des arêtes qui se croisent en diagonale sont construits des bourrelets de pierre, des arcs ou nervures, qui s’appuient sur les piliers placés aux quatre angles de la voûte et qui en augmentent la solidité. On les appelle arcs augifs (du latin augere, augmenter), ogives et, à cause de leurs croisements, croisée d’ogives. Ils dirigent, ils canalisent la poussée de la voûte vers les piliers.

« Il faut consolider ces piliers, tout en laissant de la place pour les bas-côtés et les chapelles. Au lieu d’appliquer les contreforts à la muraille, de les confondre avec elle, on les détache, on les éloigne et l’on jette du pilier intérieur au contrefort, par-dessus les bas-côtés, un étai de pierre, un « arc-boutant », qui, venant obliquement contre-buter la poussée oblique de la voûte, lui fait équilibre aisément.

« En même temps, on adopte pour le dessin des portes, des fenêtres et pour le profil des voûtes, au lieu de la rondeur un peu lourde du plein-cintre, l’élan de l’arc brisé ou arc-aigu, formé de deux courbes qui se coupent au sommet. C’est cette forme aiguë qui est le trait le plus apparent du style gothique, comme le plein cintre du style roman. Mais il n’est pas le trait essentiel, tant s’en faut. Bien des églises romanes de Provence ou de Bourgogne, comme la fameuse basilique de Cluny, avaient des voûtes brisées et des arcades aiguës. D’autre part on a commis une étrange erreur en donnant à l’arc-brisé le nom d’ogive, qui doit être réservé aux nervures entre-croisées de la voûte d’arête.

« L’emploi de la croisée d’ogives, de l’arc-boutant et des arcs aigus permettait de donner à l’édifice gothique une prodigieuse légèreté intérieure. La voûte était supportée par l’armature des piliers et des contreforts, les murs deviennent inutiles à la solidité du monument ; on peut les remplacer par de hautes et larges verrières. Les piliers formés de faisceaux de colonnettes s’élancent du sol et s’épanouissent sous la voûte en bouquets de nervures. La nef paraît s’élever vers le ciel comme une ardente prière. La voûte portée à une hauteur vertigineuse : 37 mètres à Notre-Dame de Paris, 47 m. 50 à Beauvais, paraît reposer sur des vitraux et flotter en pleine lumière. C’est « l’architecture du miracle » a dit Michelet. C’est l’architecture de la foi. Le sentiment religieux qui animait les artistes et la foule enthousiaste des ouvriers s’est magnifiquement exprimé dans l’envolée mystique de ces nefs lumineuses.

« À l’extérieur, la matière et la pesanteur reprennent leurs droits. Arcs-boutants et contre-forts entourent l’édifice d’un échafaudage compliqué de béquilles de pierre. Mais à distance, on voit s’élever au-dessus de cet échafaudage la masse imposante des grands toits au profil aigu et au-dessus des combles, s’élancer les clochers et les flèches qui semblent porter au ciel la prière de tout un peuple. »

Pendant la première moitié du xiie siècle, l’art passa peu à peu des formes romanes aux formes gothiques. Les premières voûtes à croisée d’ogives furent construites en France et en Angleterre. Les plus anciennes semblent être celles de Morienval, en France (1115), et de Durham, en Angleterre. Les plus beaux exemples de transition sont Notre-Dame de Senlis et l’église abbatiale de Saint-Denis, que fit construire l’abbé Suger. Notre-Dame de Paris fut commencée en 1163, Bourges en 1192, Chartres en 1194,