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ART
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manière de faire une chose selon certaines méthodes, selon certaines règles » (Littré), ou « la manière de faire quelque chose selon des règles » (Hatzfeld). Le même a ajouté par extension : « Chacun des genres dans lesquels l’homme ou l’animal produit des œuvres selon certaines règles. » Larousse présente une définition plus limitative en disant : « Application des connaissances acquises par l’homme et des moyens dont il dispose à la réalisation d’une conception quelconque. » Il semble ne pas admettre les connaissances et les moyens de l’art chez les animaux.

Dans un sens encore plus particulier, on dit de l’art qu’il est : « l’ensemble des moyens, des procédés dont l’homme se sert pour exciter dans le cœur de ses semblables diverses impressions et émotions, et notamment le sentiment du beau » (Larousse), « l’expression, par les œuvres de l’homme, de l’idée qu’il se fait du beau » (Hatzfeld). Ces définitions, la deuxième principalement, tendraient à renfermer l’art dans les rapports qu’il a avec l’esthétique, science du beau, dont il serait l’objet.

L’art, considéré comme « manière de faire quelque chose », est, avant tout, utilitaire en ce qu’il indique aux êtres les moyens de se procurer ce qui leur est nécessaire.

« Les arts sont les enfants de la nécessité » (La Fontaine).

« Le premier usage d’un art est pour les besoins de la vie » (Paul-Louis Courrier).

Cette conception est à la base de la formation des arts mécaniques, ceux qui, selon Brouillet, « ont pour but d’exploiter la nature, ou de la transformer », ce qui est très souvent en opposition avec l’art, objet de l’esthétique, qui a pour but, au contraire, de faire valoir et de conserver les beautés de la nature. Les arts mécaniques sont synonymes d’industrie. On dit : « l’art des fourmis, des castors », en parlant des demeures que ces animaux construisent, comme on dit : « l’art du maçon, du menuisier ».

L’ « application des connaissances et des règles » s’entend pour tous les arts. Elle les élève au-dessus du simple faire. Mais si elle ne vise que l’utile, elle perd son caractère d’art proprement dit. C’est la préoccupation esthétique qui donne à l’activité le caractère de l’art, en opposition à la pratique spontanée ou routinière, qui fait de cette activité un métier, quel que soit le titre qu’elle se donne. Ainsi, la préoccupation esthétique fera d’un ouvrier un excellent artiste dans son métier. Sans cette préoccupation, un artiste ne fait qu’un mauvais ouvrier dans son art. Les arts mécaniques doivent donc comporter une part d’esthétique pour n’être pas de simples métiers.

Dans les arts libéraux, la part de l’esthétique est plus grande. Ce titre, inventé par l’école d’Alexandrie, désigna longtemps les objets de l’enseignement classique. Les anciens reconnaissaient sept arts libéraux, appelés communément les Sept Arts : la grammaire, la rhétorique, la philosophie, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. Les Encyclopédistes du xviiie siècle classèrent dans la même division les arts libéraux et les beaux arts. Aujourd’hui, on les sépare et on appelle arts libéraux « ceux qui sont du ressort de l’intelligence et de l’esprit » (Littré), « ceux où l’esprit a plus de part que la main » (Larousse). Ces définitions trop vagues correspondent à peu près à celle que les Encyclopédistes donnaient de ce qu’ils appelaient les arts scientifiques : « Arts qui répondent aux besoins de l’esprit. » Mais les arts scientifiques ne sont pas autre chose que les sciences appliquées qui font partie des arts mécaniques. À défaut d’autres précisions, nous dirons que les arts libéraux sont l’exercice théorique des sciences, celles classées déjà sous ce titre par les anciens et celles découvertes depuis.

Citons, comme curiosité, ces appréciations caractéristiques de leur époque du Dictionnaire de Trévoux, rédigé au xviiie siècle par les jésuites : « Les arts libéraux sont ceux qui sont nobles et honnêtes… Les arts mécaniques sont ceux où l’on travaille plus de la main et du corps que de l’esprit. »

Sous le titre des beaux-arts, ou arts proprement dits, on comprend l’architecture, la sculpture, la peinture, la poésie, l’éloquence, la musique et la danse. Avec eux, la préoccupation esthétique réduit de plus en plus celle d’utilité, au point de la faire disparaître complètement dans l’art pour l’art, qui signifie « un travail dégagé de toute préoccupation autre que celle du beau en lui-même » (Théophile Gautier).

On dit généralement des beaux-arts qu’ils sont « ceux qui ont pour but de charmer les sens par la culture du beau » (Larousse), ou « l’expression, par les œuvres de l’homme, de l’idée qu’il se fait du beau » (Hatzfeld). Ces deux définitions des beaux-arts, considérés surtout comme art proprement dit et dans son sens absolu, sont insuffisantes. Elles se rapprochent de la formule de l’art pour l’art, à moins qu’on envisage une conception extrêmement large du beau en l’étendant à tout ce qui est dans la vie objet d’excellence, de grandeur, de perfectionnement et qu’on les complète par celle des Encyclopédistes disant que les beaux-arts sont « destinés à satisfaire les besoins du sentiment, les épanchements de l’âme. » Nous reviendrons, plus loin, sur ce sujet.

Bescherelle, dans son Dictionnaire National (Paris, 1856), a protesté contre les définitions « incomplètes et fausses » de l’art données par les dictionnaires qui ont précédé le sien. Il a fait sur l’art des « réflexions philosophes » dont il nous paraît intéressant de reproduire les passages suivants : « L’art s’adresse à la fois à l’intelligence et aux sens, à l’intelligence par la pensée cachée dans l’œuvre de l’artiste, aux sens par la forme matérielle dont cette pensée est revêtue ; d’où il résulte qu’on ne fait pas de l’art pour l’art, parce que si les premiers artistes ont formulé une symbolique et des procédés techniques, il n’en est pas moins constant que l’art existait avant les règles, puisque celles-ci ont été le fruit et non le principe des œuvres artistiques… L’art est susceptible de progrès et de diverses révolutions, liés à ceux de l’esprit humain lui-même ; car si l’esprit se perfectionne, la forme subit le même perfectionnement, mais si l’esprit s’en va, la symbolique est bientôt mise en oubli, et la forme, manquant de soutien, s’abâtardit et se meurt. »

En raison sans doute de sa signification générale, faire, le mot art est encore employé pour désigner des formes très diverses et souvent les plus opposées de l’activité humaine. Cet emploi est d’autant plus arbitraire par rapport au sens de l’art proprement dit que ces formes excluent davantage l’idée de beauté et de perfectionnement. C’est ainsi qu’on dit : « l’art de la guerre » comme « les arts de la paix », « l’art de haïr » ou « de mentir », comme « l’art d’aimer » ou « d’être vrai », etc…

De même, art est synonyme d’adresse, d’habileté, de talent, de moyen, ces mots étant pris indifféremment en bonne ou mauvaise part :

— « L’art de persuader consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre » (Pascal).

— « Il instruira ses fils dans l’art de commander » (Racine).

— « Je sais l’art de punir un rival téméraire » (Racine).

— « Il s’est fait un art du boire, du manger, du repos et de l’exercice » (La Bruyère).

Art est aussi synonyme d’apprêt, d’affectation, d’artifice, de ruse.

On dit communément : — « Il y a trop d’art dans ce qu’il dit. »