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AXI
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calme suffisant des eaux, la démonstration fait le plongeon, et l’empirique perpendiculaire peut, sans dommage, être abandonnée au musée des poissons.

Les traités plus récents nous montrent deux angles adjacents égaux et, en déduisent que leur côté commun est une perpendiculaire. C’est définir la perpendiculaire par sa propriété la plus apparente comme si l’on disait : le feu c’est ce qui brûle.

La notion de la perpendiculaire peut s’expliquer autrement.

La ligne médiane, qui est l’axe de notre vision, est perpendiculaire à la ligne idéale sur laquelle nous replions, pour les reporter en avant de nous, les images que les objets forment au fond de notre œil.

Cette explication rentre dans l’hypothèse que nous avons énoncée au paragraphe précédent.



Quelle est la valeur des axiomes ?

Pour comparer une fois de plus l’entendement à une montre, ils sont ses roues intérieures, ils font marcher les aiguilles de la vie pratique.

Leur valeur absolue est fort contestable.

L’homme promène dans l’univers sa ligne droite. Elle traverse les cycles des astres, elle troue les dômes des espaces ; qui nous dit qu’elle ne soit pas factice comme ce que nous appelons le rayon lumineux ? La matière est discontinue.

L’homme dit : je suis un, je suis moi. Qui sait si, traversé par des effluves électriques, baigné dans des courants magnétiques non étudiés, non explorés, non connus, il ne se comporte pas comme un appareil de T. S. F. qui croirait vibrer librement et qui serait asservi à une énergie, à une pensée, à une force lointaines ?

Mais il y a plus.

Les axiomes, fondement de la science, sont en contradiction avec la science plus avancée.

L’axiome philosophique, l’axiome « je », la notion du « moi » suppose la comparaison de deux états successifs. J’affirme que j’existe parce que la sensation, une fois perçue et remplacée par une autre qui lui succède, je constate ma permanence. Une sensation passe et je reste.

L’axiome « je » comprend donc l’axiome « temps ».

L’axiome mathématique, l’axiome de la ligne droite suppose l’espace.

Or, le temps et l’espace ne semblent plus, à la science actuelle, que des fantômes. Le temps et l’espace n’auraient pas de réalité propre. Comme l’a fait observer un grand vulgarisateur scientifique, un des parrains français d’Einstein, le temps et l’espace sont des clous qui tombent avec les vieilles cloisons que la science démolit.

Il y aurait donc incompatibilité entre l’axiome et la réalité.

L’axiome ne serait qu’une tranche de pain dans le bissac de l’homme qui chemine à l’aventure en s’agitant beaucoup ; mais l’univers ne vit pas de ce pain-là.

Les savants sont des anarchistes inconscients.

Axiomes moraux. ― Axiomes sociaux. — L’homme ne prend pas toujours le mot vérité dans le même sens. De ses premières ébauches intellectuelles, il dégage des principes qui correspondent aux conditions de son entendement, et des premiers essais par lesquels son activité s’exerce, d’autres principes qui lui semblent indispensables, pour le meilleur rendement de son action. Il dit uniformément de ces principes si dissemblables qu’ils sont vrais. Il est vrai que la ligne droite est mon plus court chemin pour me rendre d’un point à un autre, et il est vrai que, sur terre, pour me rendre d’un point à un autre, j’ai

besoin de n’être ni arrêté ni tué par le voisin qui m’interdirait ou me disputerait le chemin.

Ces deux propositions sont également nécessaires, comme disent les mathématiciens ; elles s’imposent, l’une et l’autre, à la raison, qui adopte aussitôt l’une, et cède immédiatement à l’autre ; mais leur nécessité n’est pas du même ordre.

L’axiome se proclame et le dogme se promulgue ; l’axiome crée le mètre et le dogme le gendarme ; les axiomes demeurent, les dogmes finissent ; la nécessité des uns et des autres est inégalement relative ; expliquons-nous tout d’abord sur ce point.

L’axiome de la ligne droite, suppose, nous l’avons dit, l’espace, et n’a de valeur que par rapport à l’espace. L’axiome deux et deux font quatre, suppose le nombre et, par suite, le discernement de l’unité. Ces axiomes serviront, tant qu’il y aura des hommes, pour l’exigence de leur vie pratique, mais il est possible que l’esprit s’élève jusqu’à la conception d’un monde qui ne serait plus conditionné par les données de nos sens. Nous connaissons la lumière par l’excitation heureuse et vive qu’elle détermine dans l’appareil récepteur de notre œil, mais nous comprenons que la lumière ne peut être définie en elle-même par l’effet tout contingent que produit sa rencontre avec notre rétine. Les premiers humains ont appelé ciel le dôme fictif auquel semblent suspendus les astres visibles, mais le télescope a révélé ou le calcul a décelé des astres que notre regard n’atteignait pas ; l’idée rudimentaire du ciel s’est fondue au fur et à mesure que la voûte a grandi, et que le plafond s’est dissous. Cependant, pour nos besoins courants, et dans la limite du monde ambiant, l’idée de ciel est demeurée commode. Nous disons qu’une tour s’élève vers le ciel, que l’étoile filante a traversé le ciel de Paris. La nécessité des axiomes se prolongera aussi longtemps que nos mains manieront des outils, ou que nos outils s’attaqueront à la matière. Pour les dogmes, il en est autrement. Leur valeur se modifie avec leur utilité. Ce sont des arbres de haute futaie, mais l’humanité défriche. Prenons un exemple entre tous ceux que pourrait suggérer l’analogie.

Le code civil, carrosse admirablement travaillé, mais démodé, et qui se transforme, nous porte encore. Les hommes qui l’ont construit, en utilisant le bois solide fourni par les coutumes, ont considéré que la fortune consistait principalement en immeubles et accessoirement en meubles. On les aurait fort étonnés en contestant ce principe proportionnel. Ils ignoraient les valeurs de Bourse ; ils connaissaient à peine les effets de commerce, et les traites de place en place leur semblaient le plus audacieux expédient de l’échange. L’économie financière a renversé les « idées admises ». Les idées admises ne sont, pour la plupart, que des postulats, indûment consacrés, et plus témérairement encore érigés en axiomes, quand leur simplicité et leur généralité le permet.

Sondons ces assises granitiques sur lesquels l’homme a édifié la société. Nous examinerons les articles majeurs du Credo social, car il y a un Credo social : il n’y a pas de Credo scientifique.

La philosophie a des écoles et ne connaît pas de chapelles ; nous procéderons à notre exploration avec le scrupule de la loyauté la plus entière et dans l’indépendance complète qui est assurée à notre pensée.



Dieu. — Les sociétés antiques, comme les sociétés modernes, montrent à la dissection un squelette symétriquement distribué, dont les ramifications sont insérées sur une arête centrale : l’ordre public. L’animal amphibie auquel appartient ce système intérieur a deux têtes : l’une qui s’est exagérément développée