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lutionnaires des masses paysannes en mai, juin, juillet et août 1917. Les Soviets paysans se créaient dans les villages.

L’attitude des bolcheviques était, à ce moment, extrêmement hésitante. Leur groupe central guidant le parti, Lénine en tête, venait d’arriver de l’étranger où tous ses membres avaient séjourné durant la dernière huitaine d’années en qualité d’émigrés. Lénine voyait parfaitement bien que les événements ne s’arrêteraient pas au renversement du système politique du tzarisme, que les choses iraient plus loin. Mais, jusqu’où iraient-elles ? Ni Lénine ni ses camarades ne pouvaient le prévoir. C’est pourquoi, pendant les premiers mois qui suivirent le coup d’État de mars 1917, l’attitude des bolcheviques fut équivoque : d’une part, ils faisaient à moitié chorus avec les masses, se ralliant à leurs mots d’ordre sociaux ; d’autre part, ils ne rompaient pas complètement avec les mots d’ordres politiques de la bourgeoisie démocratique. (À ce moment, leur parti se nommait encore parti social-démocrate bolchevique). De là, leur attitude flottante, pas entière ; de là, leur mot d’ordre : « contrôle sur la production », substitué à celui des masses : « les usines aux ouvriers » ; de là aussi, leur mot d’ordre de l’Assemblée nationale constituante, en contradiction avec celui des masses : « la révolution sociale ».

Ce ne fut que plusieurs mois après — période critique et décisive, et lorsqu’il devenait de plus en plus évident que le bouleversement social était infaillible — ce ne fut qu’alors que les bolcheviques se décidèrent en faveur de ce bouleversement ; mais, comme nous le verrons tout de suite, dans l’unique but d’arriver au pouvoir, en mettant à profit ce bouleversement. Ce fut alors que Lénine changea le nom de son parti ; le baptisant « parti communiste » (au lieu de « parti social-démocrate » ), cherchant ainsi à se séparer, en face des masses, de ses collègues de la droite — les social-démocrates mencheviques (minoritaires) et les socialistes-révolutionnaires — qui défendaient toujours le principe de la république démocratique bourgeoise et se compromettaient, tous les jours davantage, aux yeux des masses révolutionnaires. Ce fut alors que Lénine se mit à donner raison aux anarchistes, à parler de sa profonde parenté spirituelle avec eux, dans la négation du parlementarisme, de la démocratie, de l’étatisme (sous certaines réserves quant à ce dernier), de même que dans une série d’autres problèmes capitaux de la révolution sociale. Or, comme les événements ultérieurs vont le démontrer, son unique but était de trouver des alliés parmi les anarchistes et de s’assurer les sympathies des masses.

Les mouvements des masses : ceux d’avant octobre et aussi celui d’octobre, tendant au renversement du système capitaliste en Russie, avaient besoin d’éléments qui pourraient les guider d’une façon déterminée, au point de vue idée et organisation, éléments qui aideraient ces mouvements à aboutir, et à atteindre le but des aspirations des masses : la construction d’un régime libre et égalitaire ouvrier et paysan. Cette tâche, de guider les mouvements des masses, appartenait, au fond, uniquement à l’anarchisme, vrai porteur des idées de la révolution sociale. Mais, grâce à leur manque habituel d’organisation, qui affaiblit le mouvement libertaire dans tous les pays, les anarchistes russes se montrèrent mal préparés et impuissants à remplir leur mission ; et l’action dirigeante, l’influence prépondérante sur les événements, dans l’espace du pays entier, avait, entre temps, passé aux bolcheviques. S’étant définitivement rangés du côté du bouleversement social, ces derniers déclenchèrent des attaques décisives contre le système capitaliste. Ils dirigèrent toutes leurs forces disponibles dans les profondeurs de la classe ouvrière et aussi dans l’armée. De là, ils menèrent une lutte

acharnée contre la bourgeoisie et leur gouvernement (qui se nommait « provisoire révolutionnaire »). Ils avaient bien apprécié l’importance colossale et la puissance des Soviets des députés ouvriers, créés par les masses directement et devenus tout de suite forteresses du labeur dans sa lutte contre le capital. Ils déployèrent toute leur énergie pour les conquérir. Mais à ce moment déjà, ils substituèrent, à l’idée de la révolution sociale, celle du « pouvoir soviétique », ayant lancé le mot d’ordre : « Tous pouvoirs aux Soviets ! »

Au moment où la majorité des membres des soviets centraux étaient partisans du bolchevisme, les bolcheviques frappèrent le coup décisif : ils renversèrent le gouvernement de coalition socialiste-bourgeoise, s’appuyant sur les soviets comme organes dirigeants de la révolution. Le rôle capital du système des Soviets des ouvriers et soldats députés trouva plus tard son appréciation dans les paroles de Lénine qui dit que si les masses n’avaient pas créé les Soviets, jamais les bolcheviques ne seraient venus au pouvoir.

En conséquence de la révolution, le pouvoir se trouva naturellement entre les mains des bolcheviques devenus ses guides principaux. L’action révolutionnaire des bolcheviks prit fin à ce moment-là et fut remplacée, consécutivement, par une activité nettement contre-révolutionnaire.

S’étant emparé du pouvoir, les bolcheviques s’employèrent méthodiquement à adapter le régime politique et social de tout le pays au régime de leur parti. Érigé sur les principes d’un centralisme absolu et d’une discipline militaire, ce parti devint le modèle, le tracé d’après lequel les bolcheviques commencèrent à construire le nouveau système économique et social de la Russie. Une gigantesque machine étatiste et bureaucratique se forma ainsi, qui se mit à guider, à diriger toute l’activité économique, politique et sociale de tout le peuple, à s’occuper de tous ses besoins, à contrôler toute sa vie, sa façon de penser, etc., etc.

C’est ainsi que le projet d’organisation proposé par Lénine en 1913, selon lequel la direction dictatoriale de toute la vie et de toute l’activité du Parti se concentrait entre les mains du Comité Central, était appliquée maintenant à l’échelle de toute la Russie révolutionnaire.



L’activité créatrice économique et sociale des bolcheviques se divise en deux périodes : celle du « communisme » d’État, et celle de la N. E. P.

Le trait essentiel du communisme étatiste des bolcheviques, est la nationalisation de l’industrie et du commerce. (En ce qui concerne la terre, les bolcheviques, impuissants, tout d’abord, à soumettre les paysans à l’aide des moyens « physiques », ont signé le décret sur la socialisation des terres. Par cet acte, ils cherchaient, en même temps, à s’assurer le concours actif des masses paysannes dans la lutte contre le « gouvernement provisoire » de Kerensky. « Qu’ils (c’est-à-dire le gouvernement provisoire révolutionne) essayent maintenant de nous prendre ! » dit Lénine, en signant, après le coup d’État d’octobre, le décret sur la socialisation des terres. Plus tard, au fur et à mesure que l’autorité des bolcheviques se renforçait, le décret fut annulé par celui du fermage des terre, par d’autres décrets du Conseil des Commissaire du Peuple).

La nationalisation de l’industrie et du commerce signifiait que l’État devenait dorénavant propriétaire et organisateur de toute l’industrie et de tout le commerce du pays. C’est l’État qui dirigera et réglementera, à l’avenir, tous les moindres détails du processus économique et commercial. L’élaboration des tarifs, l’échelle des salaires, l’embauche et le congédiement des ouvriers, l’arrangement à l’intérieur des entre-