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ils ne courent pas les rues, mais enfin on en trouve. Ceux là méritent d’être aimés. Un bon camarade est aussi rare qu’un véritable ami. Que dis-je, n’est-ce pas le « type » même du véritable ami ? Un bon camarade vous éclaire sur vos défauts comme sur vos qualités. Il est le conseiller, le guide, ne cherchant à imposer ni ses conseils ni sa manière de voir, mais seulement à vous être utile. Un bon camarade ne vous trahit point. Il agit avec le plus pur désintéressement. Il est sincère, et loyal. Il vous regarde en face et vous tend la main sans arrière-pensée. Il ne vous abandonne jamais aux heures difficiles. Il est là, tout près, qui vous soutient, moralement et physiquement. Il sait les paroles qu’il faut prononcer, les actes qu’il faut accomplir, sans bruit, sans ostentation. Il se donne selon ses moyens, selon ses forces, mais il se donne entièrement. Le peu qu’il fait, c’est beaucoup. Il nous défend si on nous attaque. Il partage avec vous son repas, son lit. Il vous donne tout ce qu’il possède. Nobles cœurs, combien vous êtes rares ! Connaissons-nous beaucoup de gens qui méritent ce beau nom : « camarades » ? On hésite vraiment à l’employer avec certaines brutes. Des camarades qui vous salissent, vous traînent dans la boue, vous assassinent lâchement par derrière, on en trouve partout, à chaque instant, mais des camarades loyaux, sincères, généreux, désintéressés, quand vous en rencontrez un sur votre route, dites-vous bien que vous avez trouvé un trésor.

Causerie entre camarades : causerie familière, sur un sujet intéressant, concernant telle ou telle question d’ordre moral ou politique, et qui peut contribuer à l’éducation des groupes et des individus.

En camarade : expression par laquelle une femme : vous fait comprendre qu’elle se promènera ou déjeunera avec vous, sans aller plus loin. Certaines femmes veulent bien être votre camarade, mais non votre maîtresse (il y a une nuance). C’est leur droit. Elles veulent bien entretenir avec vous des relations intellectuelles, mais non des relations sexuelles. Ce sont des relations purement amicales. Ces femmes estiment que l’amitié est préférable à l’amour, et qu’elle engendre moins de déboires. Elles peuvent parler librement pendant des heures avec un homme, ― ou des hommes ― de la question sexuelle, de l’amour libre, du sexualisme révolutionnaire et autres questions connexes, sans que cela leur fasse de l’effet. Aucune conversation ne les intimide. Véritables garçons, du moins sous ce rapport de la chair, et on se sent tout de suite à l’aise en leur compagnie. Elles consentent à vous accompagner n’importe où, à partager vos jeux, vos sports, vos distractions, quant à se donner, elles s’y refusent. La camarade expire où commence la maîtresse. De telles femmes peuvent être fort agréables ; cependant, certains hommes trouvent que ce n’est pas suffisant, ils ne peuvent se contenter de la camaraderie. Il leur faut davantage.

Camaraderie amoureuse : On désigne sous ce nom, une conception de l’amour qui n’a pas cours dans les milieux bourgeois. C’est sous des formes hypocrites, dissimulées par la légalité que les bourgeois pratiquent une pseudo-camaraderie amoureuse. La camaraderie amoureuse consiste en ceci : qu’une femme ne doit pas plus se refuser à l’homme qui la désire que celui-ci ne doit se dérober à son invite. Cependant, il faut tenir compte, dans le pluralisme sexuel, du tempérament et des préférences. Se donner comporte un choix. Il y a des femmes qui refusent de se donner au premier venu, qui ne se préoccupe guère si la chose leur agrée ou non. En somme, la camaraderie amoureuse consiste en ceci : « Nous nous plaisons, unissons-nous, sans consulter personne ». La camaraderie amoureuse offre des difficultés pratiques, et elle n’est pas à la portée de

tout le monde. Elle suppose des esprits affranchis, ayant banni de leur cœur la jalousie, et consentant à ce que leur compagne ― ou leur compagnon ― dispose de sa personne comme on entend le faire soi même. L’amour plural est impossible sans réciprocité, consentement mutuel. ― G. de Lacaze-Duthiers.


CAMARADERIE. Qu’on considère l’anarchisme sous l’angle qu’on voudra, au point de vue le plus farouchement individualiste ou le plus largement communiste ; qu’on le regarde comme une éthique purement individuelle ou comme une conception uniquement sociale, sa réalisation est et restera toujours d’ordre « humain », c’est-à-dire qu’en Anarchie, il existe et il existera des « rapports entre les hommes » comme il en a existé et existe dans tous les milieux sociaux, quelle que soit leur importance.

Nous savons qu’en Anarchie, ces rapports ne sont pas déterminés par la contrainte, la violence, la loi ; nous savons qu’Ils ne sont pas soumis à des sanctions disciplinaires ou pénales ; nous savons qu’ils ignorent l’empiètement sur l’évolution d’autrui, la malveillance, l’envie, la jalousie, la médisance ; nous savons qu’en aucun cas ces rapports ne sauraient être basés sur le contrôle des actions individuelles, leur « standardisation » à un étalon-règle de conduite unilatéral, applicable dans tous les cas et convenant à tous les tempéraments. Il est essentiel, en effet, que tout cela soit inconnu « en anarchie », si l’on ne veut pas que ressuscite ou reparaisse ― sous sa vraie figure ou sous un masque ― l’Autorité, c’est-à-dire l’État et le gouvernement.

Reste donc à nous demander quelle forme « en anarchie » revêtent ou revêtiront les rapports des humains entre eux.

À mon sens, ils ne peuvent, ils ne pourront s’établir que sur une certaine façon, une manière spéciale de se comporter les uns, à l’égard des autres que je dénommerai camaraderie. C’est un de ces mots dont on a beaucoup abusé pratiquement, et j’en sais quelque chose, Ailleurs, j’ai proclamé que la camaraderie était d’ordre individuel et je ne m’en dédirai point ici. La camaraderie est affaire d’affinités individuelles, c’est exact ; il est évident que là où les affinités font défaut ; la camaraderie est une piètre chose, si on veut qu’elle descende des brumes de la théorie. Je concède qu’il est difficile d’imaginer une camaraderie d’ordre très intime entre nomades et compagnons appréciant le confort d’un intérieur ― entre pratiquants de l’unicité en amour et pratiquants de la pluralité amoureuse ou du communisme sexuel ― voire entre partisans d’un régime alimentaire exclusif. Mieux vaut que ceux qui tiennent à la réalisation d’un aspect spécial de la vie en liberté se groupent entre eux. La souplesse de la conception anarchiste de la vie qui permet tout autant à l’isolé qu’à l’associé de vivre « sa » vie, qui laisse les associations fonctionner chacune à sa guise et se fixer librement n’importe quel objet ― la souplesse de la conception anarchistes, disons-nous, implique une telle diversité d’unions et de fédérations d’unions qu’il reste et restera loisible à n’importe quelle unité de se réunir à qui il lui convient davantage.

Mais tout ceci exposé, il reste encore à définir ce qu’il faut entendre par camaraderie. Sans doute, c’est une expérience comme tous les incidents de la vie individuelle, sans doute ce n’est ni une obligation ni un devoir ; mais ce n’est pas seulement une expérience, c’est une disposition d’esprit, un sentiment qui relève de la sympathie, de l’ordre « affectif » et qui, généralisé, constitue comme une sorte d’assurance volontaire, de contrat tacite, que souscrivent entre eux les « camarades » pour s’épargner la souffrance inutile ou évitable.