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ni cause première, ni cause finale, mais seulement des équilibrations transitoires formant les divers êtres. La matière est en éternelle transformation, allant des formes les plus illimitées aux formes les plus limitées, de corps faisant des forces, et transformant les forces en corps. Tout mouvement provoque un mouvement. Il n’y a pas de mouvement premier, il ne saurait y avoir de mouvement dernier. La « limitation » qui gênait tant les spiritualistes, et leurs principes de causalité, s’explique parfaitement aujourd’hui, grâce aux expériences de Gustave Le Bon et à son livre l’Évolution de la matière. Tous les corps se réduisent en forces identiques. Il n’y a pas de différence d’essence entre les êtres de la série, mais de forme seulement. Le cristal et la cellule sont composés de même, mais ayant une forme différente et un moyen de reproduction ainsi que d’accroissement particuliers, ils donnent naissance à des êtres apparemment opposés.


CAUSER. v. a. Être la cause de… Exemple : Ce maladroit a causé un accident.

CAUSER. Ce mot n’a aucune communauté de sens ni d’origine avec le précédent, il nous vient du latin causare qui signifiait plaider. En français, causer, c’est s’entretenir familièrement d’un objet. Il faut se garder d’employer le verbe causer pour le verbe parler. La demoiselle du téléphone commet un barbarisme quand elle dit : « Ne quittez pas : on vous cause. » Par négligence on donne quelquefois au mot causer un sens péjoratif. Exemple : « Cette femme a fait beaucoup causer » pour dire que des bruits malveillants ont circulé à son sujet. Cette négligence est admise et c’est regrettable car nous avions déjà le mot jaser qui est le péjoratif de causer. Larousse dit fort justement : « Savoir parler ce n’est que savoir parler ; savoir causer c’est savoir parler et écouter. » Donc, causer, c’est parler en gardant une disposition à écouter.


CAUSERIE. n. f. Même origine que le mot précédent. Dans la pratique la causerie est l’intermédiaire entre la conversation et la conférence. (Voir ce mot.) La conversation est généralement imprévue et improvisée et l’objet de l’entretien est souvent inattendu. Pour la causerie, au contraire, on a préalablement convenu de quoi l’on s’entretiendra. On peut donc dire que la causerie est une conférence plus intime ou destinée à des auditoires réduits à un petit nombre. La causerie comporte le plus souvent un orateur, mais celui-ci parle en s’attendant aussi à écouter, en guettant sur les visages de ses auditeurs ce qui convient à satisfaire la curiosité et les besoins de chacun. Pendant que la conférence s’adresse à l’auditoire en masse parce que la quantité d’auditeurs ne permet pas qu’il en soit autrement, la causerie permet à l’orateur et lui impose même de viser chaque auditeur individuellement ; Pendant que le conférencier parle indépendamment des auditeurs devenus anonymes par le nombre, le causeur vit avec chacun des individus de son auditoire. Le conférencier touche un plus grand nombre de personnes ; le causeur touche plus profondément chaque auditeur parce qu’il lui est moins étranger.

On commettrait une faute grave contre ce merveilleux moyen qu’est le verbe en supposant la préparation d’une causerie moins nécessaire que celle d’une conférence : le causeur peut et doit se permettre un langage plus simple, de façon à se confondre le plus possible avec son auditoire ; mais c’est précisément parce que des interruptions peuvent se produire, sollicitant une précision, un éclaircissement, un complément d’explication, que le causeur devra s’être plus solidement préparé. La causerie est la forme oratoire la plus exigeante ; car, en même temps qu’elle impose

à l’orateur une connaissance profonde du sujet, une préparation solide du discours, elle exige le don d’improvisation : l’orateur doit se tenir prêt à répondre brièvement et clairement à toute question et ramener habilement au sujet son auditoire qui, sans cela, se livrerait aux plus folles digressions.

Tout en étant intime, voire familier, le causeur doit demeurer courtois, affable et même respectueux.



La causerie fut un art très athénien ; outre que le philosophe grec enseignait, sous forme de causeries faites non à ses disciples, mais avec ses disciples, dans l’antique Athènes les hommes allaient volontiers chez le barbier parce que l’on y causait. La causerie est devenue un art très français parce que le Français est né causeur ; mais il ne faudrait pas croire que la causerie n’exerce sa séduction qu’en France : la vérité est que la langue française, par ses finesses et ses subtilités, donne à la causerie toute la valeur de son charme ; mais les Français qui ont voyagé savent que, dans tous les pays du monde, la causerie demeure le meilleur moyen d’expansion des idées.

Pour nous en tenir à notre définition, il faut considérer que c’est aux environs de 1610, en l’hôtel de Rambouillet, que naquit la causerie française. On ne peut considérer comme causeries les controverses religieuses qui les auraient devancées ; car, orateurs papistes et réformistes faisaient des conférences contradictoires et non des causeries. C’est la jeune marquise de Rambouillet qui, peu après sa vingtième année, provoqua la formation et l’évolution des causeries. Instruite, intelligente et sociable, elle avait réuni dans son hôtel de Rambouillet les esprits les plus cultivés de son temps : Voiture, Vaugelas, Condé, Mme de Longueville, Mme de Scudery, Benserade, Corneille, La Rochefoucauld, tant d’autres encore. Il est fort probable que de tous les personnages illustres qui fréquentèrent chez Julie (Julie d’Angennes, marquise de Rambouillet), c’est Vaugelas qui fut le plus « causeur » au sens que nous donnons ici à ce mot. Mais les bonnes et précieuses leçons de syntaxe qu’il donna aux familiers de la maison firent commettre à certains de ridicules exagérations dans les soins donnés au « bien parler » et ces exagérateurs des préceptes du grammairien Vaugelas reçurent l’épithète de « précieux » et « précieuses ». Molière ne les épargna point, il fut même dur pour l’Abbé Cotin dont il fit le Trissotin des Femmes Savantes, ce qui est injuste car Charles Cotin était non seulement latiniste mais aussi helléniste et hébraïste ; c’était donc un savant lettré.

Les causeries de l’hôtel de Rambouillet avaient certainement débuté sous la forme de verbiages littéraires, par la suite on causa philosophie, arts, sciences. Molière nous montre, surtout dans Les Femmes Savantes et dans Les Précieuses Ridicules, les petits côtés des effets de ces causeries. Julie d’Angennes semble aussi être la créatrice de ce qui fut appelé « faire ruelle ». On nommait alors ruelle la partie de la chambre où se trouvait le lit. Nous dirions aujourd’hui l’alcôve. La marquise recevait au lit et aussi pendant que ses caméristes procédaient à sa toilette compliquée, des courtisans qui, pour lui plaire, poussaient la conversation sur son terrain favori. Ces « ruelles » devinrent aussi des causeries, littéraires le plus souvent. Selon que la dame qui recevait était insignifiante et superficielle ou cultivée et d’esprit élevé, les visiteurs étaient des lettrés et philosophes ou des oisifs. Dans ce dernier cas, la causerie déviait de la littérature au sentiment, sentimentalisme plutôt, et fats et faquins discutaient sur la fameuse « carte du Tendre ». Dans l’autre cas, les visiteurs étaient des érudits et des penseurs ; de la litté-