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la cellule sensitive, ou réceptrice ni avec la cellule motrice mais seulement avec le neurone d’association des réflexes inter-segmentaires. Cet appareil supra-segmentaire ne se contente plus de transmettre l’influx nerveux, d’associer, d’amplifier, de diversifier les réflexes ; il présente la propriété de les suspendre, les inhiber, de les refouler pour les mieux adapter. Son activité n’est plus mécanique ; elle est presque réfléchie, psychique. Le groupement des neurones supra-segmentaires constitue l’ébauche du cerveau (arthropodes).

Jusqu’ici, et par conséquent chez les invertébrés, l’étude du développement du système nerveux repose sur les constatations anatomiques et histologiques et sur les données fournies par l’observation de la manière d’être des animaux lorsqu’on modifie les conditions habituelles de leur activité. Les fourmis, devant un obstacle à leur cheminement processionnaire, hésitent d’abord, se reprennent ensuite, et finissent par tourner ou supprimer la difficulté. Elles sont munies d’un centre supra-segmentaire, d’un cerveau déjà grand par rapport à leur taille et peuvent ainsi donner preuve d’intelligence en adaptant leur réponse réflexe à la diversité des excitations extérieures. ― Chez les vertébrés, les proportions plus grandes de leurs organes permettent en outre l’expérimentation physiologique : la pratique des ablations partielles ou totales du cerveau occasionne dans le comportement réflexe et instinctif ou adapté et individuel, des déficits proportionnels à l’importance du segment enlevé.

Ainsi chez les poissons, la décérébration du pallium ou manteau comporte peu de troubles apparents. Car leur activité se règle surtout par les centres segmentaires et inter-segmentaires.

L’ablation du cerveau au-dessus du thalamus ne diminue chez la grenouille que son habileté à la capture de la proie et laisse intactes toutes les autres fonctions. La décérébration sous-thalamique rend la bête inerte ; celle-ci flotte et ne nage plus. De même les reptiles souffrent peu de la suppression du pallium.

Amputé du cerveau, le pigeon s’alimente et se meut à peu près normalement. Mais il a perdu la faculté de reconnaître les objets, le sentiment de ses besoins sexuels, le discernement du danger.

Un chien, auquel Nothmann extirpa le cerveau, vécut trois ans ; Il était aveugle, mais non sourd, buvait, mangeait et digérait, se mouvait, ne reconnaissait personne et n’avait pas de désirs sexuels, se montrait incapable d’éducation.

L’expérimentation physiologique corrobore donc les conclusions de l’anatomie. Plus un animal comporte un cerveau développé, plus ses actions cessent d’être automatiques, pour devenir réflexes et instinctives d’abord, puis individuelles à un degré élevé d’évolution. De même l’ablation du cerveau, à peu près indifférente pour le comportement des vertébrés inférieurs, devient très nocive pour celui des vertébrés supérieurs. En une série d’actions et de réactions entre l’animal et le milieu, d’une part le système nerveux se complique et perfectionne son agencement pour mieux répondre aux sollicitations de l’ambiance ; d’autre part, la complexité structurale et la haute précision de son fonctionnement confèrent au système nerveux la faculté d’agir sur l’ambiance et de la modifier au gré de ses besoins nouveaux.

Splendide épanouissement de l’appareil supra-segmentaire, le cerveau humain porte à la dernière puissance les possibilités d’intégration, d’adaptation, de transformation des excitations périphériques ou des impulsions internes. Dans ses manifestations psychiques les plus élevées, il se montre l’aboutissant de la longue évolution multi-séculaire durant laquelle, en une série de phases bien déterminées, l’espèce s’achemina

de l’état protoplasmique uni-cellulaire, avec son irritabilité fruste et globale, jusqu’à la forme achevée de Primate intelligent avec un système nerveux d’une sensibilité exquise et d’un fonctionnement étroitement différencié.

Cette lente ascension de l’obscure impression élémentaire à la clairvoyante pensée apparaît en un raccourci saisissant dans le développement du cerveau chez le fœtus et chez l’enfant. Dans l’embryon, le système segmentaire (moelle, bulbe, protubérance) se forme le premier, bien avant l’appareil supra-segmentaire qui, pendant les quatre premiers mois de la vie intra-utérine, présente une structure très rudimentaire. Les mouvements fœtaux commencent au deuxième mois ; deviennent perceptibles vers le cinquième ; peuvent être provoqués, chez un fœtus prématurément expulsé, par des excitations de la peau et des tendons. Même la succion et la déglutition se produisent dans la matrice bien avant la naissance. Mais toute cette activité fœtale est seulement réflexe, comme le prouvent, d’un côté l’inexcitabilité du cerveau et l’excitabilité de la moelle, et d’un autre côté la possibilité de ces mouvements même après une section du cerveau du fœtus au-dessous du thalamus. Et l’inexcitabilité du manteau ou pallium persiste jusqu’à la naissance. « Le fœtus humain, jusqu’à son expulsion à terme, est plongé dans un sommeil sans rêves ».

Le nouveau-né présente un cerveau très différent de l’adulte et dont le développement se fera graduellement suivant un rythme identique à celui de la formation progressive du système nerveux dans la série animale. Il agit d’abord d’une façon réflexe comme les êtres à centres neuroniques inter-segmentaires dépourvus d’écorce cérébrale. « Sourd, aveugle, anosmique, l’enfant à sa naissance ne présente qu’un comportement automatico réflexe auquel s’associent quelques réactions bien imparfaites de caractère instinctif. (Lhermitte). » À six semaines seulement le nourrisson suit les objets du regard, et vers le quatrième mois sourit en « voyant » sa mère. L’odorat et le goût s’affirment plus rapidement. « Dès les premiers mois, l’enfant reconnaît sa mère à l’odeur de son lait, et, dès la naissance l’odeur désagréable de l’ « asa fœtida » provoque une expression de dégoût. (Kussmaul). » Les mouvements, les cris, les sanglots, les vomissements du nouveau-né sont réflexes puisqu’ils existent aussi nets chez les enfants dépourvus d’hémisphères cérébraux, les « anencéphales ». Ceux-ci ne vivent qu’un ou deux jours ; mais ils sucent, avalent, crient, remuent les membres. Par conséquent ces fonctions élémentaires sont indépendantes du cerveau. Au fur et à mesure que les neurones se multiplient dans les noyaux gris (thalamus ou couche optique, corps strié) d’abord, dans l’écorce grise ensuite, les manifestations instinctives apparaissent ; l’enfant réagit, quoique maladroitement, aux pressions, pincements, variations de température. Enfin l’entrée en jeu du manteau cérébral fait apparaître les actes imitatifs ou expressifs, sous leur caractère individuel : le sourire, le baiser, les pleurs, les câlinements (Lhermitte).

Ainsi, l’étude anatomique et histologique du cerveau du fœtus et du nouveau-né, l’observation des agissements des enfants normaux et des anencéphales montrent d’une façon surprenante comment la complexité des organes se produit et s’élève avec le perfectionnement des fonctions, et combien l’individu se développe avec précision selon le plan même de l’espèce.

L’élaboration fœtale et post-natale de l’appareil supra-segmentaire conditionnant la vie psychique aboutit chez l’homme adulte à la constitution de deux groupes neuroniques superposés : l’un, inférieur, comprenant les corps opto-striés (thalamus ou couche optique et corps strié) ; l’autre, supérieur, replié en nombreu-