Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
CHA
328

les relations sexuelles aient pour corollaire l’établissement de la famille, parce que celle-ci est l’image réduite de la société autoritaire. Autorisés par les lois à cet effet, les parents imposent aux êtres qu’ils ont mis au monde sans les consulter, un contrat dont il leur est interdit de discuter les termes et qui contient en germe tout le contrat social ; c’est dans la famille que l’enfant apprend à obéir sans discuter, sans critiquer, qu’il est mis dans la nécessité de se contenter de réponses évasives quand il demande une explication ou de pas de réponse du tout ; c’est dans la famille qu’on inculque à l’enfant l’intérêt qu’il y a pour lui à être bon écolier, bon soldat, bon ouvrier, bon citoyen. Quand il quitte la famille, le crâne bourré, pour en fonder une nouvelle, il possède toutes les aptitudes voulues pour être dominé, ou dominer, être exploité, ou exploiter, c’est à dire jouer son rôle de souteneur de l’Etat.

Or, la chasteté où la femme a été maintenue, où elle s’est maintenue elle-même la prédispose admirablement à jouer son rôle de bonne mère de famille, de bonne éducatrice, de bonne citoyenne. Ayant refoulé pendant un certain temps, pendant toujours peut-être, les impulsions légitimes de son organisme sexuel, son besoin de recevoir et de donner des caresses, elle est dans l’état voulu — mère ou éducatrice — pour enseigner à ceux sur lesquels elle exerce son influence qu’il y a des contraintes auxquelles il faut se soumettre sans murmurer, même quand elles violent les appétits les plus naturels, même quand elles portent tort à la santé individuelle. Dès lors que l’observation de ce qui est naturel risque de miner, de mettre en péril l’artificiel, c’est au naturel qu’il faut renoncer et à l’artificiel qu’il faut s’assujettir. Voilà à quoi aboutit la pratique de la chasteté chez la femme, une fois devenue éducatrice.

La chasteté enfin, pour se maintenir, sacrifie toute une portion de l’humanité féminine. Nous disons bien « pour se maintenir » car là où l’élément masculin ne sent plus peser sur lui la contrainte des lois ou des conventions, il donne libre cours à ses instincts et sans aucune réserve, la preuve nous en est fournie par la façon de se comporter du soldat en campagne ou de l’homme moyen dans certains cataclysmes physiques ou politiques. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’il existe une catégorie de femmes qui s’étend de la fille richement entretenue à la péripatéticienne de nos voies publiques, en passant par la pensionnaire des maisons closes, dont la profession consiste à louer leurs organes sexuels contre rétribution variable selon la hiérarchie qu’elles occupent dans leur profession. Nous avons écrit ci-dessus que ces femmes étaient des « sacrifiées » et elles le sont bien — d’abord par la déconsidération dont elles sont l’objet de la part du milieu social où elles évoluent — ensuite à cause des réglementations policières auxquelles leur personne et leur commerce sont astreints — enfin parce que les femmes chastes ne leur savent aucun gré de protéger leur chasteté. C’est parce que l’exercice de la prostitution est tenu en si haut discrédit, c’est parce que les prostituées sont montrées du doigt comme un élément social indésirable, que la chasteté a fini par passer à l’état de vertu civique. En entretenant dans le milieu social ce point de vue de la prostitution, en lui assimilant plus ou moins les relations sexuelles non légalisées, l’Etat est parvenu à donner au mariage une valeur exceptionnelle, que le divorce ne détruit pas, puisqu’il exige, lui aussi, l’intervention du magistrat.

Il découle de soi que là où a disparu le préjugé de la chasteté, à l’individuel comme au collectif, les autres préjugés anti-naturels sur lesquels reposent les conventions sociales ne tardent pas à être battus en brèche. La prostitution recule également ; le milieu social n’éprouvant plus le besoin de consacrer une

partie plus ou moins grande de sa population à permettre à une autre partie de ses constituants de vivre d’une existence anormale. — E. Armand.

CHASTETÉ. Le « Dictionnaire de l’Académie Française » définit la chasteté : la vertu de celui qui est chaste, c’est-à-dire « qui garde une honnête retenue dans les relations conjugales, et particulièrement qui s’abstient des plaisirs d’un amour illicite. Le mot chasteté signifie quelquefois une entière abstinence des plaisirs de l’amour ». Les libertaires n’acceptent pas la première définition académique. Car ils s’imposent une seule retenue honnête, celle de ne causer de douleur ni physique ni morale, et ne se refusent ni ne refusent aucune des voluptés procurées par l’union conjugale ou amoureuse. La chasteté sera donc envisagée ici comme une entière abstinence des plaisirs de l’amour ; davantage même, comme une continence absolue, le renoncement à toute satisfaction de la zone génitale, coït sous toutes ses formes et dans toutes les positions, relations hétéro et homosexuelles, masturbation solitaire ou géminée. Dans ces conditions, apparaît-elle possible, se montre-t-elle souhaitable ?

Si on appelle instinct « une activité définie héréditaire et non acquise par l’expérience personnelle, un réflexe complexe mis en jeu par des excitants extérieurs qui éveillent une potentialité héréditaire (Ch. Féré) », l’acte de la reproduction répond bien à une telle sollicitation instinctive. En effet le rut ou appétit sexuel se révèle pour la première fois chez les animaux et l’homme en dehors de toute intervention consciente de la volonté, sous l’influence de l’odorat, de la vue ou du toucher, et en cristallisation du souvenir de voluptés non perçues jusqu’alors par l’individu mais transmises par le sens antérieur et atavique de l’espèce. Toutefois il constitue seulement un « instinct secondaire » réalisant la préservation de l’espèce, au fond indifférente aux procréateurs, et non un « instinct primaire », comme celui de la nutrition, assurant au premier chef la préservation de l’individu surtout anxieux de sa propre existence. Il apparaît plus ou moins tard, rarement avant quinze ans, chez l’homme ; disparaît plus ou moins tôt, souvent à la cinquantaine ; présente de grandes variations personnelles, depuis l’absence totale jusqu’à la prédominance exclusive. Certains vivent sans femmes ; d’autres vivent pour, par et de la femme. L’instinct d’amour ne possède donc pas le caractère de nécessité inhérent à la faim et à la soif.

C’est dire que le coït n’est pas un besoin primordial ; et la continence n’entraîne de trouble ni physique ni intellectuel. Les nombreux animaux domestiqués et tenus à l’attache ne souffrent nullement de la privation génitale ; ils restent aussi beaux, aussi forts, aussi résistants que leurs congénères en liberté. Et si quelques mâles manifestent, à l’époque du rut, une certaine férocité, cela tient davantage au caractère de la race qu’à l’inassouvissement d’un instinct. Beaucoup d’hommes vivent dans la continence sans la moindre diminution de leur santé ou de leurs aptitudes générales. La majorité des prêtres, des religieux, les prisonniers au régime cellulaire supportent la chasteté avec aisance et sans recours à la masturbation. Chez les personnes accoutumées à un coït régulier, la cessation occasionne au début une gêne, due surtout à une habitude non satisfaite ; puis le temps fait son œuvre, les sens s’assoupissent, les désirs s’apaisent, la vie s’écoule sans aucune révolte de l’organisme générateur.

L’éducation joue un grand rôle dans la question de l’amour humain. Poètes et prosateurs le magnifient ou le vitupèrent. Les parents en parlent ou s’en taisent,