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au culte de l’honneur, ses lois quant à l’observation de leur dépendance mutuelle. Car la Chevalerie n’est pas une institution forcée, c’est un Ordre où l’on postule pour être admis : on naît noble ; on devient chevalier.

Le vassal est le possesseur de fief qui, désirant s’annexer parce qu’il ne trouve pas ses forces suffisantes ― telle est la raison la plus fréquente ― se met sous la dépendance d’un plus puissant seigneur et le reconnaît comme Suzerain. Il lui doit la foi et l’hommage ; il lui doit le service de guerre dit service de l’ost.

Le collier magnifique est bien formé : il est relié par une chaîne d’or : le roi est la pierre la plus brillante de ce collier, il n’est ni la plus grande, ni la plus riche.

Ce système terrien presque indestructible allait cependant être déconsolidé. Il fut ébranlé par le plus incroyable, le plus fabuleux des événements : les Croisades.

En 1095, Urbain II prêche la première Croisade aux Conciles de Plaisance et de Clermont.

Sans doute la chrétienté souffrait de voir le tombeau du Christ aux mains des infidèles, sans doute les hommes du moyen-âge étaient capables de partir comme les bergers de la Palestine pour suivre une étoile miraculeuse jusqu’à l’étable de Bethléem, mais la Papauté n’aurait pas encouragé Pierre l’Ermite à élever la voix et à déchaîner les foules, si elle n’avait eu ses desseins secrets.

Urbain II voulait établir à la face des souverains temporels sa puissance et leur prouver que son geste spirituel pouvait soulever la masse de leurs sujets.

Et nous ne connaissons rien de plus passionnant, rien de plus émouvant, ni rien de plus instructif que la lutte de la Papauté contre l’Empereur, du souverain chimérique contre le souverain temporel, du prêtre contre l’expansion du peuple, rien de tragique comme ce conflit qui prend notre race à son berceau et qui dure encore au nom d’un Messie dont les yeux seraient épouvantés s’il pouvait voir ce que ses prétendus serviteurs ont osé faire en abusant de sa doctrine, de sa croix et de son nom. « Ces deux moitiés de Dieu le pape et l’empereur », a écrit Victor Hugo.

Les papes disaient : Il y a deux astres : le pape est le soleil, l’empereur est la lune. La lune reçoit sa lumière du soleil.

Lorsque les Barbares eurent dévasté l’Europe, l’Église fut inquiète ; elle pouvait se trouver dans la sujétion de Constantinople ; elle cherchait un pouvoir temporel qui offrit, pour le moins, un port à la barque de Saint Pierre. Elle s’accommoda des faibles Mérovingiens ; elle prit avec faveur Charlemagne sous sa tutelle dissimulée. Le fractionnement de l’empire carolingien et surtout la formation de la féodalité la mirent en grave péril. Elle ne mordait plus sur ces possesseurs de fiefs qui ressemblaient à un champ de lances aux pointes hérissées. Il lui fallait un maître qui la protégeât d’abord et qu’elle dominât ensuite. Elle jeta son dévolu sur Otton 1er, le jour où, ayant restauré la couronne des rois lombards, il la prit, puis la changea pour la couronne impériale. L’Église encouragea les destinées du Saint-Empire germanique. Elle menaçait d’être sa vassale, le pape Grégoire VII surgit !

Cette locution « aller à Canossa » est à la mode chez les érudits que sont nos parlementaires ; on la répète depuis surtout que M. de Monzie l’a donnée pour titre à une de ses brochures. On comprendra mieux le retournement que consacre cette humiliation célèbre, si l’on veut bien résumer en quelques lignes deux siècles d’histoire.

Au lendemain de « l’an mil », le pape, pour emprunter à M. Driault une expression heureuse, semble être devenu le chapelain de l’empereur.

En 1059, le concile de Latran confie l’élection des pa-

pes aux prêtres de Rome et aux cardinaux, en dehors de l’ingérence étrangère ; la querelle des investitures commencera quinze ans plus tard pour la collation des grades aux ecclésiastiques.

Henri IV, empereur d’Allemagne, dépose le pape, Grégoire VII ; le pape Grégoire VII dépose l’empereur.

Le souverain humilié se rend en Toscane, à Canossa ; il se prosterne en costume de pénitent devant le Pontife et, après trois jours de supplications, se voit rendre dédaigneusement son sceptre.

Le pape avait vaincu ; Grégoire VII pouvait mourir. L’empereur tenait sa couronne de Notre-Saint-Père le Pape ; Frédéric Barberousse essuya l’affront de cette déclaration insolente le jour où un légat bien stylé vint le saluer à Besançon, porteur des lettres papales où l’empire était déclaré un « bénéfice » accordé par le Saint-Siège.

Urbain II, avant même l’avènement de Frédéric Barberousse, mais après le triomphe de Canossa, lançait sur les routes inconnues de la Syrie les féodaux et leurs milices, au lendemain du jour où l’Église venait d’excommunier le roi de France, Philippe 1er.

Les seigneurs qui prirent la croix, qui se « croisèrent » à l’appel de Pierre l’Ermite, ou à la voix de Saint Bernard, cinquante ans plus tard, connurent des fortunes diverses : quelques-uns s’enrichirent d’un butin opulent, mais combien périrent et combien se ruinèrent ! Les fiefs en souffrirent ; il fallut pourvoir à la succession des seigneurs qui n’avaient pas d’héritiers directs ; la bienveillance du roi fut nécessaire pour trancher bien des cas épineux ; la souveraineté royale se trouva renforcée.

Les huit Croisades, ― accès de cette folie ont duré en tout cent soixante-quinze ans et ont déterminé huit expéditions, ― constituent la série d’événements qui a le plus contribué à désagréger la féodalité.

Mais, parallèlement une révolution se produisait. L’orgueilleux isolement du fief n’avait pu empêcher la ville de naître. Cette ville, bâtie sur la terre du fief, n’échappait pas à la loi du fief, mais elle avait une population ; ses artisans, par leur travail, arrivaient à l’aisance. Le jour vint où entre les habitants d’une ville l’idée de solidarité naquit. La ville comprit qu’elle pouvait former une commune.

La commune était essentiellement une fédération municipale constituée par une association mutuelle sous la foi du serment. L’acte fondamental de la commune était le pacte d’assistance réciproque, assistance jurée.

La cohésion une fois obtenue, la commune dressait ses cahiers de revendication contre les tailles injustes et les exactions. Elle pouvait alors négocier avec son seigneur suzerain. Elle lui offrait d’acheter l’indépendance au prix de redevances fixées ou de services déterminés.

Les communes qui se heurtèrent à un refus conquirent leur liberté les armes à la main.

Les communes, aussitôt qu’elles étaient soustraites à la suzeraineté seigneuriale, se plaçaient sous la protection du roi.

La royauté vit le parti qu’elle pouvait tirer de cette émancipation pour l’extension de l’autorité royale. Rapidement, à cet avantage, le roi ajouta un profit : les sommes annuelles que les communes s’engagèrent à lui payer pour prix de sa protection.

Ce grand mouvement de l’affranchissement des Communes semble être parti des Flandres et il est certain qu’il parvint sous Louis le Gros à son apogée magnifique. Louis le Gros le favorisa. Mais nous notons, dès 1073, trente-cinq ans avant son avènement, l’établissement d’une commune au Mans ; celles de Laon et d’Amiens se sont créées en 1111.

Nous avons vu combien Rome était hostile à la féoda-