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Le mouvement des Cheminots est assassiné et la C. G. T. ne lance pas l’ordre de grève générale. Et pourtant, pris à l’improviste, le gouvernement, qui ne disposait d’aucun approvisionnement ni en vivres, ni en essence pour utiliser ses camions était vaincu. Tous les espoirs suscités par cette grève, partie sur une question de droit syndical, avec pour objectif immédiat le relèvement des salaires, mais qui avait rapidement élargi ses objectifs, et posait, tout à coup, tout le programme défini à Lyon, étaient à terre et, avec eux, ceux du prolétariat de ce pays.

Comme il fallait s’y attendre, le gouvernement ne tint pas ses promesses et maintint les révocations. Il cherchait une revanche, comme après la grève victorieuse des postiers, en 1909.

Mettant à profit le temps qui lui était ainsi accordé par cette accalmie, il constitua des stocks de vivres, de matières premières, d’essence, et lorsqu’il fut prêt, il provoqua la classe ouvrière.

De profonds changements, venaient de se produire dans l’orientation de certaines grandes fédérations, notamment chez les Cheminots. Après avoir enlevé presque toutes les Unions de Réseau, les syndicalistes révolutionnaires enlevaient aux réformistes la direction fédérale, au fameux Congrès du manège Japy, fin avril 1920.

C’est de ce Congrès que partit ce qu’on a appelé « l’ultimatum de San Remo ».

Sur la proposition du Syndicat de Paris-Rive Droite, dont Blacher fut le porte-parole, le Congrès adressa un message à Millerand, Président du Conseil, pour le mettre en demeure de respecter l’accord du 27 février. Et chose curieuse, les réformistes, Bidegarray en tête, ne furent pas les moins ardents, à réclamer l’envoi de cette mise en demeure au Gouvernement. Nous aurions dû être plus clairvoyants, sentir que cet empressement subit de nos adversaires était extraordinaire, qu’il cachait quelque chose.

Nous n’eûmes pas le temps de réfléchir. Le vote fut enlevé avec rapidité. Le refus était voulu, l’occasion cherchée par le gouvernement était trouvée. Le Congrès poursuivant ses travaux à Aubervilliers le déclara le lendemain avec, comme objectif : La réalisation de la nationalisation industrialisée.

Mal comprise des cheminots, incomprise à peu près par le grand public, cette revendication n’était pas propice à exalter les enthousiasmes. Autant la grève de février avait soulevé vigoureusement les travailleurs et intéressé le public, autant celle de mai les laissa indifférents.

Si le P.-L.-M., l’Ouest-État, le Midi, le P.-O., suivirent le mot d’ordre de grève, il n’en fut pas ainsi de l’Est et surtout du Nord, dont les dirigeants surent habilement duper le personnel.

On tenta sans succès, d’isoler ces Réseaux et la C. G. T. prit bientôt la direction du mouvement, encore que cette entrée en ligne de la C. G. T. ait donné lieu par la suite à de nombreuses et passionnées polémiques.

Le Cartel des Transports (ports, docks, marins) entre en ligne, sans modifier la situation. Une deuxième vague doit suivre. Ça ne marche pas. Il y a au sein de la C. G. T. des opposants dont Merrheim est le chef.

Après huit jours de lutte il apparaît que la grève sera écrasée si elle n’est pas généralisée par la C. G. T. J’en fais la demande à la C. G. T. après discussion avec Griffuelhes, qui est de mon avis. Elle n’est pas accueillie. On remplace le Bureau fédéral des Cheminots, obligé de se cacher pour se soustraire à l’arrestation. Il y a deux Bureaux, qui se contrecarrent. Et la deuxième semaine de grève marque l’échec du mouvement. Un Comité fédéral extraordinaire se réunit le 16 mai 1920,

la C. G. T. y assiste, ainsi que les représentants Fédérations. C’est plutôt un Comité Confédéral.

Il décide de laisser les Cheminots continuer la lutte seuls et de les soutenir pécuniairement. Le mouvement se traîne. Les défections sont chaque jour de plus en plus nombreuses. C’est la fin, l’échec après 20 à 30 jours de lutte, selon les centres.

25.000 révocations et licenciements de cheminots sanctionnent cette défaite, dont les causes sont multiples. Le gouvernement a trouvé sa revanche. Il la tient et bien. La C. G. T. se disloque et c’est le Congrès d’Orléans, pour la liquidation de la situation. Il marquera aussi l’orientation sans cesse plus à droite de la C. G. T., l’abandon désormais total du programme du syndicalisme confirmé par tous les Congrès Confédéraux.

À la faveur de l’emprisonnement des militants cheminots, Bidegarray a pu reprendre la tête de la Fédération des Cheminots. Pour mettre le sceau à sa victoire, le Gouvernement a inventé le coup du complot contre la sûreté de l’État. Cette affaire viendra aux Assises en mars 1921 et se terminera par un acquittement triomphal.

C’est alors que les dissensions entre les fractions de la minorité se feront jour. Il est patent que le parti communiste non encore officiellement formé, a agi sur les événements de mai par le Conseil du Comité pour la reprise des relations internationales. Il continue sa pression sur la minorité syndicaliste, qui vient au Congrès d’Orléans de donner une adhésion de fait à « l’Internationale Communiste ». Adhésion toute sentimentale qui aura les plus graves conséquences.

Les Syndicalistes sentent, au sein des C. S. R, la tutelle qu’on veut leur imposer. Ils se dressent contre les hommes de Moscou : Monatte, Monmousseau, Rosmer, Souzarine, Loriot, etc. C’est la première bataille qui se livre pour l’indépendance du syndicalisme révolutionnaire. Le Bureau des C. S. R. est battu et je suis appelé à remplacer Monatte au Secrétariat général ; Fargues occupe le Secrétariat administratif.

Mais, avant notre entrée en fonctions, une délégation a été nommée pour représenter les C. S. R. au Congrès constitutif de l’Internationale Syndicale Rouge (I. S. R.). Elle est composée presque exclusivement de partisans de la subordination du syndicalisme. Seuls Sirolle, Gourdeaux, Albert et Claudine Lemoine font figure d’opposants. La délégation, hétéroclite, est déjà disloquée en trois parties au moins à son passage à Berlin et subjuguée à peu près totalement par les éléments communistes.

Elle manifestera son incompréhension totale de la Révolution et ne fera aucun effort pour la voir qu’elle est. Ce sont alors d’ignobles chantages exercés sur les délégués restés fidèles. Et après s’être divisée, au Congrès de l’I. S. R., la délégation, précédé de Tomasi — qui sera désavoué par tactique par ses amis — rentre en France. Et c’est le Congrès Confédéral de Lille. Entre mai et juillet, les militants syndicalistes du C. S. R. ont fait une grosse besogne, ils abordent le Congrès de Lille, après avoir redressé le mouvement minoritaire et mis debout un programme qui sera opposé à Lille, trop tard hélas !, au programme de la C. G. T. Ils ont aussi renforcé considérablement leur action et conquis un nombre imposant de Syndicats de province. De 312 à Lyon, 585 à Orléans, leurs forces atteindront à Lille 1350 voix.

Le Congrès minoritaire voit participer à ses débats plus de 1100 Syndicats. C’est l’apogée. Le Bureau Confédéral sent la défaite. Il ne s’en tirera que par la violence, en faisant matraquer par des gens à sa solde, les délégués de la minorité. Des coups de revolver sont tirés. Il y a des blessés. Le Gouvernement parle d’in-