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connive au libertinage de sa fille. Peut-être alors serai-je forcé moi-même, d’écarter le soupçon d’avoir connivé à cet indigne procédé. » (Diderot.)

La connivence en matière criminelle est punie en vertu d’articles du Code pénal ; c’est ainsi que l’individu qui, de connivence avec un détenu, favorise par son silence l’évasion de celui-ci, est puni d’une peine de six mois de prison.

Le capital, ou plutôt la bourgeoisie est de connivence avec les gouvernements qui organisent la répression contre le prolétariat ; mais la bourgeoisie reste dans l’ombre et n’est que le cerveau ; le gouvernement est le bras. La complicité de la bourgeoisie n’en est pas moins manifeste.


CONQUÊTE. n. f. Action de prendre, de gagner, d’acquérir, d’obtenir par la force ou par la ruse, de capter une chose, un objet, une idée ; d’accaparer une ville, une province, un pays ; en un mot, soumettre quelqu’un ou quelque chose à sa domination. Les conquêtes peuvent se diviser en deux catégories bien distinctes : 1° les conquêtes utiles et bienfaisantes ; 2° les conquêtes nuisibles et criminelles. Les premières sont celles qui ne se réalisent pas au mépris de la logique, de la vérité ou de la justice ; elles se caractérisent par les victoires de la civilisation sur l’ignorance et la bestialité humaines. Ce sont les conquêtes de la science, qui, loin de servir aux appétits du capital et du militarisme, pénètrent au plus profond des couches sociales et viennent jeter sur l’humanité malheureuse une lueur l’espérance. Ce sont ces conquêtes qui, acquises au prix de sacrifices sans nombre, ont fait germer dans le cerveau des hommes, l’amour de la liberté et de la fraternité. Ce sont les conquêtes de tous les savants, de tous les philosophes, de tous les littérateurs, de tous les écrivains qui déchirent le voile du passé et nous tracent la route de l’avenir.

Hélas, ce ne sont pas les seules conquêtes qui illustrent l’histoire. « Il y a des crimes qui deviennent glorieux par leur éclat ; de là vient que prendre des provinces injustement s’appelle faire des conquêtes. » (La Rochefoucauld.) Les conquérants ont, depuis des siècles et des siècles, ravagé le monde et de même que l’herbe ne croissait plus partout où le cheval d’Attila avait passé, des civilisations se sont écroulées et éteintes partout où l’esprit de conquête à dominé. La terre fut le tout temps ensanglantée par des conquérants avides, répandant l’effroi sur leur passage et semant la haine, la misère et la mort. Les démocraties modernes n’ont rien à reprocher aux anciennes autocraties, et les enquêtes criminelles de nos sociétés modernes s’inscriront à l’encre rouge sur les pages de l’histoire. « A l’égard du droit de conquête, il n’y a d’autre fondement que celui du plus fort », nous enseigne J.-B. Rousseau, et il est vrai, hélas ! que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». C’est pourquoi il ne suffit pas aux opprimés de ce monde d’avoir raison, il faut aussi qu’ils aient la force et la puissance de se faire craindre, s’ils veulent partir à la conquête de la richesse sociale accaparée de nos jours par une poignée de parasites.


CONSCIENCE. n. f. Ce mot a deux sens philosophiques bien différents. Il désigne cette connaissance ou ce sentiment de ma propre existence qui accompagne tous mes états intérieurs ou peut-être seulement mes changements d’état. Il désigne aussi le jugement secret qui approuve certains de mes projets et de mes actions mais en blâme d’autres. Au premier sens, le mot appartient à la psychologie. Au second, il appartient à l’éthique, sagesse ou morale.

Conscience Psychologique ou Conscience de Soi. — Encore que les sophistes aient opéré en philosophie la

première révolution critique, c’est-à-dire le premier effort pour tourner notre attention non plus vers le monde extérieur, mais vers le monde interne ; encore que Socrate, le plus grand des sophistes, recommandât de se connaître soi-même : on ne trouve jamais, dans ce qui nous reste des sophistes et des socratiques, un mot qui se puisse traduire par conscience. (Pourtant, le verbe d’où se tirera le substantif correspondant se rencontre au moins dans Xénophon.)

Platon ne distingue pas la conscience des autres opérations de l’esprit ; il ne connaît aucune forme commune aux faits intérieurs. Là où nous disons conscience, il énumère : raison, science, mémoire et opinion juste. Comme nous disions qu’on ne jouit pas d’un plaisir sans en avoir conscience, Platon, au Philèbe, exige, pour qu’il y ait plaisir, que les quatre caractères sus nommés accompagnent la cause de la jouissance. Aristote, quoiqu’il en fasse une manière de théorie tâtonnante, n’a pas non plus de mot pour désigner la conscience psychologique. Les stoïciens sont les premiers à donner nom et unité au sens intérieur ; ils l’appellent synédèse, et ce mot est composé exactement comme notre mot conscience.

Le problème de la conscience psychologique de ses « données immédiates » et de ses limites est fort difficile. Je n’ai pas la prétention de le résoudre, ici ni ailleurs. Trois grandes thèses s’y combattent. Pour certains spiritualistes (Leibniz, Maine de Biran, Ravaisson, Bergson), la conscience atteint en nous l’être un, identique, cause de ses propres actions. Elle nous donne du réel, de l’absolu, du vital. Grâce à elle, la psychologie, si elle sait devenir assez profonde, assez large et assez hardie, englobe la métaphysique et l’illumine.

Pour l’école critique, la conscience est une forme ; elle ne révèle pas l’être réel que je suis ; elle dit seulement comment je m’apparais, comment je ne puis pas ne pas m’apparaître. Toutes les idées que les spiritualistes prétendent dégager de cette apparence inévitable, idées de cause, d’unité, d’identité, ne sont que les formes à priori qui rendent possible cette apparence, et rien ne nous permet d’affirmer que quelque chose répond à ces idées dans la réalité. Les empiriques (Stuart Mill, Alexandre Bain, Herbert Spencer, Th. Ribot, etc.) voient dans la conscience, la caractéristique des faits psychologiques, lesquels sont probablement des faits physiologiques d’une certaine intensité. La science de l’esprit n’est que la science des faits accompagnés de conscience et des lois selon lesquelles ils s’associent. Comme toutes les autres sciences, elle reste confinée au pays des phénomènes, ne saurait nous projeter dans le royaume de la substance, de l’absolu et du vital. La conscience n’existe que dans le changement ; sa forme la plus simple est l’oscillation entre deux états. Toute conscience reste donc relative, et par suite, toute pensée. D’ailleurs, la conscience, qui a évolué, nous présente aujourd’hui comme primitifs et irréductibles des phénomènes dérivés et très complexes. Quant aux phénomènes inconscients, sur quoi Leibniz attira le premier l’attention, la plupart des empiriques les classent comme physiologiques, non comme psychologiques. Ils n’y voient, avec Stuart Mill, que « modifications inconscientes des nerfs ».

J’indique rapidement mon opinion, qui sans doute, importe peu au lecteur. La thèse empirique et la thèse critique me paraissent contenir, l’une et l’autre, de beaux éléments de vérité. La thèse empirique est supérieure comme hypothèse de travail. La thèse critique me satisfait davantage, les jours ambitieux et imprudents, où je m’amuse dès maintenant à une explication totale qui sera peut-être toujours prématurée. Je sollicite, d’ailleurs, l’une ou l’autre assez pour l’accorder à