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du monde, vrai envers autrui, envers l’univers des hommes.

Cet homme simple, lorsqu’il tente d’accomplir l’œuvre de la paix : — « le plus difficile des combats », a dit Jaurès, — ne s’adresse, pour les moyens, qu’à la paix seulement. Il dénonce et condamne, comme une cause perpétuelle de guerre, le sophisme, dont les nations font encore leur règle : « Si vis pacem, para bellum ». Il se borne à se dire, plus lucidement, plus honnêtement : « Si tu veux la paix, prépare la paix… Et ne prépare que la paix… »

On ne lui répond pas, hélas ! à cet homme simple : que la guerre est dans la nature des choses et que la Nature en est tout habitée. Il connaît, hélas ! son propre corps : ce champ de bataille où ses maîtres innombrables : les Microbes se livrent un combat de toutes les secondes ; combat nécessaire à sa bonne santé, à la durée de sa vie, à lui l’homme… Il sait encore — ô dérision ! — que sa mort immédiate serait faite de la paix que, soudain, signeraient (sic) entre eux ces maîtres impondérables.

Mais il voit, aussi, que l’homme ne se trouvait pas bien de vivre passivement dans la nature, puisqu’il n’y est pas resté. Il voit que l’homme est assez doué, assez inventif, pour secouer souvent le joug naturel. Il voit même que cet homme ne s’est réalisé dans l’esprit et dans la civilisation que par la pénible et très lente conquête qu’il a faite de lui-même sur cette nature, où le Bien et le Mal sont des « distinguos » inconnus, où, seule, la Nécessité règne, où l’Ordre oscille, éternellement, de la Vie à la Mort, solidaires l’une de l’autre…

Il est conduit ainsi à reconnaître — et cette reconnaissance, c’est tout son espoir, c’est, aussi, son salut déjà — qu’il se peut affranchir, dans une assez haute mesure, des dures lois où semblent être à jamais réduites les autres espèces que la sienne.

Il lui est possible ainsi de ne plus voir dans la guerre une fatalité irréductible.. Or, par cela même qu’il conçoit que la guerre ne lui est pas inévitable, qu’elle ne sera pas toujours : — c’est-à-dire : que les peuples auront, un jour, autant d’intérêt, de profits à vivre dans la paix qu’ils en eurent longtemps à valoir pour la guerre, — l’homme cesse de déclarer lui-même, éternellement, la guerre au monde. Dans ce monde, il apporte ainsi ce qu’il y voulait trouver : la paix. Elle existe déjà puisqu’il l’a pensée.

C’est un immense progrès, lequel est gros de bien d’autres progrès encore : que les hommes en soient arrivés à dire banalement : « La guerre ne sera pas toujours. Un jour viendra qui verra les peuples, ni meilleurs ni pires qu’aujourd’hui, vivre dans la paix, parce qu’ils auront été obligés en quelque sorte à la faire. »

Nous éprouvons ainsi que créer véritablement la paix, c’est notre œuvre, notre grand œuvre ; et que c’est un grand œuvre possible. Nous commençons à découvrir que la paix sera entre les peuples, puis entre les hommes, dans la mesure où nous l’aurons précisée, où nous l’aurons aimée, servie, voulue.

L’important, c’est, donc, d’abord, de la vouloir.

Marivaux dit quelque part (dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard, je crois) : « Il faut être trop bon pour l’être assez ».

Je serais tenté de dire : « Il faut être trop pacifiste pour l’être assez ».

Mais, à vrai dire, est-ce être trop pacifiste que de tenir le langage de celui que j’appelle l’homme simple, et que je pourrais appeler aussi bien : l’homme vrai… Car rien n’est moins « simpliste », peut-être, que cet homme simple…

Que dit-il ?

Il dit à la société des hommes avec laquelle il a passé implicitement un contrat :

« Accepte que je te prenne au sérieux plus et mieux que tu ne le fais toi-même.

« Je sais à quoi je m’engage en m’accommodant du bénéfice comme du maléfice de tes mœurs et de tes lois. Je m’engage à t’aider à durer, à vivre. Je te dois donc, de la vie. Je te l’apporte, dans la mesure de mes petites forces. Cela s’appelle mon travail, mon intelligence — si j’en ai. — Cela s’appelle droits et avoirs tant bien que mal accordés, équilibrés, ma sociabilité. Comprends bien que je ne suis pas un anarchiste. Sinon, il me suffirait de t’avoir dit : « Ton ordre n’est pas le mien. Je ne dois donc rien à ton ordre… Et je ne vais pas perdre mon temps à faire valoir contre. toi les droits naturels de ma conscience, et ses scrupules… »

« Je ne suis qu’un brave homme, un homme moyen. qui, t’ayant pris au sérieux, entend te faire, non seulement le moins de mal possible, mais le plus possible de bien. Il a passé un contrat avec toi… C’est encore le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau… Je t’embarrasserais singulièrement, je crois, en te posant cette question : « Ce Contrat social, vas-tu jurer que Rousseau l’eût rédigé s’il avait pu prévoir ceci, qui n’était pas de son temps : tous les hommes valides d’un pays obligés à être soldats ; les nations armées jusqu’à n’être plus que des troupeaux militaires ?… On oublie trop, semble-t-il, que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (la seconde comme la première dont nous faisons encore plus vanité qu’application) ne contient même pas le mot Patrie. On oublie trop aussi, que, lorsqu’il devint un mot à la mode, ce mot patriote désignait moins l’homme attaché à sa patrie que le révolutionnaire attaché à la Révolution. On disait la Patrie, comme Rousseau avait dit : l’État… Cela, pour réagir, dans le langage quotidien, contre la Monarchie et contre le Roi, lequel disait : « L’État. c’est moi… »

« Tout cela, qui n’était, dès l’abord, que phraséologie, est devenu du sentiment, des principes et, finalement, la Loi elle-même… Victor Hugo l’a bien dit : « Car le mot c’est le Verbe : et le Verbe, c’est Dieu ». Ce que les braves gens traduisent vulgairement en disant : « Les paroles restent »… Mais je ne veux pas t’embarrasser, chère Société. Je veux seulement, te prenant plus au sérieux que tu ne le fais toi-même, te servir, en t’apportant ce qui, seul, te peut vraiment servir, ce que je me suis engagé seulement à te dévouer, en signant implicitement le contrat qui nous lie : La Vie.

« Que m’apprends-tu toi-même, Société ? Que le crime le plus grand, pour un homme, c’est d’être homicide ; que je ne dois pas tuer… Tu me fais même un devoir de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ; ce qui tient tout entier dans cette formule évangélique : « Aimez-vous les uns les autres ».

« Je réponds : « De tout mon cœur, de toute ma raison… De tout mon espoir comme de tout mon désir… »

« Mais — chose singulière, et qui nous ferait désespérer de la raison comme de toi ! — a peine t’ai-je donné mon assentiment aussi plein que sincère, j’ai cette stupeur : que ce soit toi qui devienne réticente, chicanière, évasive ; que ce soit toi qui ratiocines comme un rabbin juif ou comme un Père de l’Église byzantine… Ce qui n’est pas peu dire.

» Que me dis-tu ? Ceci : Homicide point ne seras… Il est, pourtant, des cas où…

« Tu ne tueras point… A moins, pourtant, que…

« Aimez-vous les uns les, autres… Mais, tant que la guerre sera possible, il vous sera, non seulement obli-