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Les fillettes sont enfermées comme dans les prisons de femmes. Elles travaillent dans la journée dans des ouvroirs, ne gagnent rien ou dix sous par jour, suivant les maisons ; ont le même régime que dans les prisons, tant au point de vue discipline, punitions, hygiène et régime alimentaire. Elles peuvent voir une fois par mois (à condition de ne pas avoir été punies dans le mois) leurs parents au parloir en présence d’une surveillante.

Et, comme pour les patronages, certaines « œuvres de relèvement » sont constituées par actions et distribuent des dividendes annuels.

But recherché par le législateur. — Admettons pour un instant la sincérité de ceux qui ont combiné le système des maisons de correction. Quel était le but qu’ils se proposaient d’atteindre ? Quelles sont les raisons données pour le maintien d’un pareil état de choses ?

Voici comment parlent les « protecteurs » de l’enfance :

« Soit par de mauvaises fréquentations, soit par manque de surveillance des parents, soit encore par les mauvais exemples de ceux-ci, il y a des enfants qui commettent des délits, qui, petit à petit se pervertissent et qui ne tarderaient pas, si nous n’y mettions bon ordre, à devenir de dangereux bandits.

« La plupart du temps, nous voulons bien l’admettre, l’enfant agit plutôt par inconséquence, mais le vice devient vite une habitude.

« Il faut donc soustraire l’enfant qui a des tendances au vice, à l’ambiance dans laquelle il vit.

« Il faut le placer dans des lieux où il apprendra la force de la vertu, où il sera rééduqué totalement et d’où il sortira homme sain physiquement et moralement, ayant appris la vertu du Travail.

« Au reste, ce ne sont pas des maisons de répression, mais uniquement, comme leur titre l’indique, des maisons de « correction morale » ou si vous aimez mieux, des espèces de sanatoria moraux que nous établissons. Si au début il y a la pénitence, c’est uniquement pour leur faire comprendre qu’ils ont fauté et que toute faute doit avoir sa punition. »

Causes du mal. — On pourrait répliquer à ces « bonnes âmes » beaucoup de choses.

Quelles sont, en effet, les causes de la perversion de l’enfance ?

Le mauvais exemple ? ― eh, oui ! Mais pas celui des parents : celui que leur donne la société par sa composition et son essence même.

Quels sont, pour la presque totalité, les enfants « pervertis » ? Des enfants pauvres, de familles nombreuses.

En effet prenez les statistiques et dénombrez les enfants. 98% sont ou des gosses de familles nombreuses, ou des gosses de veuves, ou de filles-mères, ou des orphelins.

Or, promenez-vous un instant dans les rues des villes. Qu’y voyez-vous ? De grands magasins ayant des étalages somptueux, des maisons d’alimentation aux vitrines emplies de toutes sortes de bonnes choses, des pâtisseries étalant des friandises convoitables, des tailleurs exposant les costumes les plus divers, des cordonniers montrant des chaussures de toutes formes.

Pénétrez maintenant dans la vie des gosses de pauvres. Que remarquez-vous ?

D’abord leurs parents travaillent toute une longue journée pour ne ramener qu’un salaire insuffisant à l’aisance de la famille.

Les gosses mangent rarement à leur faim, ils ont des habits troués et rapiécés, des chaussures lamentables ; ils ne connaissent pas la joie des friandises et d’un bon repas les laissant rassasiés.

Alors comment voudriez-vous que ces gosses privés

de tout, livrés à la rue pendant que leurs parents s’échinent à l’atelier ― comment voudriez-vous qu’ils n’eussent pas un regard d’envie devant toutes les belles choses qu’on met à leur vue dans les devantures ? Comment n’auraient-ils pas envie de connaître des joies ― en somme toutes naturelles ― que la misère leur interdit ? Et de l’envie, de la convoitise, comment ne seraient-ils pas tentés de s’approprier un peu de cette joie qui, après tout, leur appartient aussi légitimement qu’aux autres ?

Et si, un jour, la tentation étant trop forte, ils commettent un larcin ; à qui incombera leur faute ? À eux ? À leurs parents ?

Que non, pas ! à la société qui permet qu’il y ait trop d’un côté tandis qu’il y a pénurie ― et pénurie la plus complète d’autre part.

Mais laissons ce raisonnement logique de côté. Pour un instant ne raisonnons plus en anarchistes ; plaçons-nous du point de vue bourgeois.

Admettons (oh ! uniquement pour la démonstration) que ce ne soit pas la société qui soit coupable ― que ce soit l’enfant, seul ou avec ses parents, qui doive supporter la responsabilité de cela.

Les gens « comme il faut » appliquent-ils une méthode efficace ?

Méthode appliquée et résultats obtenus. — Donc, c’est bien cela, par suite de mauvaises fréquentations, de mauvais exemples ou d’ambiance familiale, l’enfant commence à se pervertir. Il faut donc l’arracher de son mauvais milieu, détruire en lui le mauvais germe et le rééduquer totalement.

Il faudrait logiquement entourer le gosse de personnes saines moralement, instruites et capables, par leur exemple, d’inculquer la vertu du travail à ces jeunes cervelles. Il faudrait considérer les gosses comme des malades moraux et les doter de rééducateurs paternels qui leur fassent comprendre qu’ils ont commis des fautes parce qu’ils ne savaient pas et qu’on ne leur garde pas rancune ; qu’on veut, non pas les punir mais les empêcher de recommencer les mêmes actes en leur apprenant la beauté d’une existence faite de labeur et d’honnêteté. (Je tiens à faire remarquer que ce n’est pas moi, mais le raisonnement bourgeois qui parle ainsi).

Or, comment s’y prend-on pour arriver à ce résultat ?

Le personnel employé dans les maisons de correction est loin, très loin de répondre au but recherché. Les surveillants (gardiens et gardiennes) sont pris parmi les paysans pas tout à fait illettrés, mais peu s’en faut, qui, ayant trouvé que le travail de la terre est par trop fatigant ― ainsi que tout autre travail ― ont choisi cette place de tout repos qu’est la « fonction » de gardien de prison.

Ont-ils seulement, ces paysans non cultivés, un sens moral suffisant pour leur tâche d’éducateurs ? Non ; pour la plupart ― pour ne pas dire la totalité ― ce sont des brutes méchantes et ne cherchant qu’à faire du mal à ceux qui sont sous leurs ordres.

Ils ne voient pas en les colons qu’on leur confie des jeunes êtres égarés qu’il faut ramener dans le bon chemin ― ils voient en chaque détenu un bandit, une « forte tête » qu’il faut mâter par la terreur et la violence.

L’ambiance d’une maison de correction est-elle une ambiance régénératrice ? Allons donc !

Dans les colonies pénitentiaires, comme dans les patronages, sévissent les mêmes mœurs que dans les centrales, Biribi ou les bagnes. L’onanisme, seul ou à deux, est une règle générale. La sodomie fait aussi de grands ravages. Les grands forcent les petits, les forts obligent les faibles à subir leurs exigences sexuelles ― et quelquefois, même, les gardiens s’en mêlent.