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désordonnée, elles ont ajouté la cruauté et la superstition ; elles lui ont inoculé le sadisme, pour en faire le plus furieux mélange « du sang, de la volupté et de la mort » célébré par M. Maurice Barrès, chantre des décompositions esthétiques.

Élie Reclus a dit, dans ses Primitifs, toute l’importance de la danse chez ces peuples : « La danse, geste cadencé auquel tout le corps participe, est l’art suprême par excellence, le langage très expressif des populations primitives… Ce que la poésie est à la prose, la danse l’est au geste. Mouvements rythmiques l’une et l’autre, ils émanent de l’intelligence et de la passion. Avec les yeux et le geste il est moins facile de mentir qu’avec la langue et les lèvres ; le geste, en tant qu’expression immédiate du sentiment, précède le langage articulé ; d’où l’importance de la danse et de la pantomime chez les sauvages ».

Élie Reclus a aussi dépeint de nombreuses cérémonies, de caractères très divers et toujours mêlées de danses, des primitifs. Chez les Esquimaux, le prêtre apprend la danse aux jeunes filles en même temps qu’il les initie aux plaisirs de l’amour. On danse pour célébrer le souvenir des morts dans une fête qui correspond à la Toussaint chrétienne. On danse aussi pour le Nouvel An, au clair de lune, en dépouillant ses vêtements même par les temps les plus froids, car « la nudité est le vêtement sacré ; l’homme le revêt pour approcher la divinité ». Ce sont de véritables ballets que représentent les Aléoutes dans les réjouissances qu’ils offrent à leurs voisins et à leurs amis. La danse est aussi d’une grande importance dans les cérémonies nuptiales et funèbre chez les monticules des Nilgherris, dans l’Inde. Élie Reclus remarque à leur sujet que « chez les Primitifs, la distinction entre le plaisir et la peine, la douleur et la joie, est moins marquée que chez nos civilisés. À leurs enterrements, nos monticules chantent et dansent, dépensent toutes les provisions qu’ils peuvent avoir, passent du rire aux pleurs et des sanglots à la folle gaieté ». La coutume n’est pas complètement disparue chez les civilisés, dans certaines campagnes, des repas qui suivent les enterrements et où, grâce à des libations nombreuses, la joie succède à la tristesse. Les Kolariens du Bengale jouent la comédie du rapt des femmes dans laquelle ils dansent avec accompagnement de chants. Chez les mêmes Kolariens, les divertissements de la paix et de la guerre se confondent : « Les belligérants suspendent les massacres pour se rencontrer à des fêtes de réjouissances où ils se traitent avec courtoisie et s’amusent, semble-t-il, avec une parfaite insouciance, pour s’entr’égorger le lendemain avec autant de férocité que de bonne humeur ». C’est ce qu’on voit chez les civilisés où on se bat, a dit Victor Hugo :

… pour des Altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez.

Il n’y a pas très longtemps que les Kolariens ne procèdent plus à des sacrifices humains en l’honneur des dieux. Les victimes sont remplacées par des animaux. La danse du sacrificateur « qui se sent envahi par son dieu » n’en a pas moins de violence. Le sacrifice est suivi de réjouissances qui ont tous les caractères des saturnales antiques et du Carnaval d’aujourd’hui. On y voit les Asadis (danseuses et prostituées) monter à califourchon sur les épaules des plus graves personnages comme on le voyait à Rome aux fêtes de Saturne et comme on le voit de nos jours au bal de l’Opéra. L’anecdote du Gai d’Aristote, née en Perse il y a deux mille ans, et renouvelée par Zola dans Nana, est toujours actuelle, répétée sous toutes les latitudes et chez les sauvages comme chez les civilisés, avec le même oubli des différences sociales. La danse a encore une grande

place, chez les Primitifs, dans les pratiques de sorcellerie et les manifestations démoniaques. Ces pratiques et manifestations ont de nombreux rapports avec celles de la sorcellerie civilisée, celles des messes noires en particulier. (Voir : Sorcellerie). Citons encore, parmi les danses des Primitifs, celles du feu, du scalp et des funérailles chez les Indiens d’Amérique.

Lorsque aux excitations multiples des sens et de la passion, de la guerre et de la religion, s’ajoute la fureur alcoolique chez les malheureux Primitifs qui ont appris des Européens à « boire comme des blancs », certaines de leurs cérémonies sont d’épouvantables orgies de rut et de sang, mélangées de pernod, telle cette fête des « Ga’nzas », ou de la circoncision et de l’excision, qu’on célèbre dans la région de l’Oubangui-Chari, en Afrique Equatoriale Française, et que M. René Maran a décrite dans Batouala.

La danse est devenue un art lorsqu’elle a commencé à s’accompagner de musique. Le rythme, que l’homme avait appris du gorille frappant sur une calebasse, la régularisa. Elle fut accompagnée d’abord de chant vocal et d’un instrument primitif connue le sifflet, le chalumeau, puis la lyre qui parut aux temps homérides. Elle était déjà un art bien perfectionné lorsque Pan animait les ébats des nymphes en jouant de sa flûte et que, suivant Théocrite, des génisses dansaient au son de la flûte de Dametas et de la syrinx de Daphnis. Successivement s’ajoutèrent d’autres instruments : tambourins, crotales, sistres, etc.… La danse suivit ainsi les progrès de la musique et, dans l’antiquité, particulièrement en Grèce, elle ne tint pas une moins grande place. Elles étaient réunies dans toutes les cérémonies. De cette union naquit la chorégraphie qui est « l’application du rythme musical aux mouvements du corps » (Grande Encyclopédie). Les Grecs lui donnèrent des règles qui la distinguèrent de la pantomime « représentation dramatique réduite à la gesticulation » (id.).

En Grèce la danse fut cultivée dans toutes les classes de la société ; aussi y prit-elle, avec le goût des arts alors si répandu, une infinie variété. Les plus grands et les plus célèbres personnages la pratiquèrent. Socrate l’apprit d’Aspasie. Épaminondas était un bon danseur. Un professionnel de la danse, Aristodème, fut ambassadeur d’Athènes auprès de Philippe de Macédoine, et ce roi épousa la danseuse Larisséa. L’art grec a laissé de très nombreux témoignages de la place que la danse a occupée dans la vie de l’époque. Elle était personnifiée par la muse Terpsichore, souvent représentée ainsi que nombre de divinités amies de la danse : les autres muses, les Faunes, les Satyres, les Nymphes, les Bacchantes, les Ris, les Amours, les Grâces, etc….

À Rome, la danse fut, en dehors des temples, le divertissement de la plèbe. Les patriciens la méprisaient, lui préférant la pantomime et les sports. Dans son Grand Dictionnaire historique (1759), Moreri qui voyait les « vertus » romaines à travers le « plutarquisme » pompeux du classicisme, a écrit : « Les Romains n’avaient que du mépris pour cette sorte d’exercice et la gravité de leurs mœurs faisait qu’ils y attachaient une espèce d’infamie ». Pour Cicéron, un danseur était un homme ivre ou fou ; il reprochait au consul Gabinius d’avoir compromis sa dignité en dansant. Tibère chassa les danseurs de Rome et Domitien destitua de leur fonction des sénateurs qui avaient dansé. Salluste blâmait Sempronia qui dansait avec une grâce « inconvenante chez une honnête femme ». Mais les Romains, comme tous ceux qui exagèrent la vertu, exagérèrent aussi la licence, dans les temps des bacchanales entre autres. Ils montrèrent dans la danse, comme en bien d’autres chocs, qu’ils manquaient du sens de la mesure possédé à un si haut degré par les Grecs. Ils étaient plus cabotins qu’artistes.

Les anciens classaient les danses en quatre catégo-