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chier treschoier, les substantifs treschement, trescherie, qui avaient à la fois le sens de ronde, sarabande, danse, bal, assemblée. Il y avait encore espringuier, d’origine allemande, qui signifiait ; trépigner, frapper des pieds, sauter, sautiller, s’élancer. Ses dérivés : espringaller, avait le sens de sauter, et espringuerie désignait une sorte de danse haute. Mais le nom qui convenait le mieux à la danse populaire et la caractérisait parfaitement était : carole, du verbe caroler qui venait d’un mot grec dont la signification était : « accompagner de la flûte une danse en rond ». En France, caroler avait le sens spécial de « danser en rond en s’accompagnant de chansons ». Des danses absolument semblables aux caroles françaises, se voient encore en Grèce, telle la ronde des femmes de Souli qui remonte à l’époque byzantine.

Les caroles étaient exécutées, soit par des femmes seules, soit par des groupes des deux sexes. Il y avait un chanteur à qui les autres répondaient en reprenant le refrain tout en formant une ronde qui tournait de droite à gauche autour de lui. Parfois, la chaîne n’était pas fermée ; elle formait une tresque et évoluait comme dans la farandole provençale. Les plus anciennes caroles étaient accompagnées de chansons héroïques et guerrières mais plutôt romanesques et, de bonne heure, s’y mêlèrent les chansons plus légères qui l’emportèrent. Ces chansons, qui célébraient les joies de l’amour et du printemps, avaient leur origine dans les fêtes païennes consacrées à Vénus et au renouveau de la nature. Les caroles se dansaient aux fêtes de mai ou du printemps et en étaient la partie la plus marquante. Ces fêtes s’appelaient maieroles ou kalende de mai en pays de langue d’oïl. Dans le Midi, elles étaient les kalendas mayas et, en Italie, les calendimaggio. Elles se sont conservées dans certaines provinces, dans des formes plus ou moins complètes, en même temps que les autres anciennes fêtes où la danse était plus ou moins mêlée. On les retrouve entre autres dans les jeux des petites filles qui choisissent une « reine de mai » et qui dansent des rondes en chantant par exemple :

La belle rentre dans son jardin…

Il y a encore des traces des caroles en Allemagne d’où elles se sont répandues en Danemark et en Norvège. Dans les îles Féroé, elles sont restées telles qu’au moyen-âge.

En même temps que la carole, on dansait le branle, autre danse chantée. Chaque province avait son branle particulier, accompagné d’un instrument, le violon en Bretagne, la cornemuse en Poitou, le hautbois en Bourgogne et en Champagne, le tambour basque en Béarn, le tambourin en Provence, etc… Chaque profession avait aussi son branle.

Les caroles et les branles ont été très souvent décrits dans la littérature du moyen-âge. Dans la vie de Saint Chilian, on a cité une chanson du xvie siècle qui accompagnait des rondes de femmes. Dans les Carmina Burana du xvie siècle, dans les romans de Raoul de Houdan, de Guillaume le Vinier, de Chrétien de Troyes, de Guillaume de Lorris, de Froissart, dans les commentaires de l’Art d’aimer d’Ovide au xvie siècle, on en trouve des descriptions. Ces écrits marquent les transformations de la danse et de la chanson populaires devenues peu à peu aristocratiques ; ils donnent une idée de plus en plus effacée de ce qu’elles étaient chez le peuple. Dans leurs inspirations populaires, elles avaient été « de légères merveilles de grâce et de poésie, pleines de la senteur du printemps et de l’innocente gaieté de la jeunesse, du plaisir de la danse et d’une sorte de mysticisme amoureux à la fois troublant et enfantin » (G. Paris)… Elles devinrent de plus en plus savantes avec l’amour « courtois » et la littérature, d’abord allégorique du Roman de la Rose, ensuite pédante des rhétoriqueurs du xve siècle, jusqu’au moment où elles furent renvoyées à leur origine première par « l’étiquette » de

cour. Le peuple continua à danser dans ses formes habituelles, avec la même ardeur, mais plus avec la même originalité inventive.

Les hommes de la Révolution française ne favorisèrent pas la danse populaire et ne surent pas en tirer le parti qu’elle aurait pu donner. La danse eut place dans les fêtes de la Révolution, mais sous une forme solennelle, dans les cérémonies nationales. (Voir : Les Fêtes et Chants de la Révolution Française, par Julien Tiersot). Ces cérémonies ne comportèrent pas de danses proprement dites. Leur gravité, et l’élévation des sentiments qu’elles suscitaient, ne s’accommodaient que d’évolutions majestueuses autour de l’autel de la patrie et de défilés de grandes foules. Les hommes sévères qui honoraient comme des déesses antiques la Liberté, l’Egalité, la Fraternité, la Raison, l’Etre Suprême et les héros morts pour la Patrie, redoutaient les excès de la joie populaire. Flaubert a raconté qu’une de ses parentes, ayant figuré la Liberté dans une fête de la Révolution, portait un bonnet phrygien avec cette inscription : « Ne me tournez pas en licence ». M. Mathiez a parlé de « la gravité sévère et moralisante des cérémonies, du sérieux des assistants » ; il a constaté que « la mascarade, les scènes burlesques et gauloises ne se trouvèrent qu’à l’état d’exceptions très rares, dans quelques grandes villes et surtout dans la capitale ».

La danse se retrouvait, avec la véritable joie populaire, en marge des cérémonies et après. Elles prenaient des revanches inattendues lorsque le mauvais temps interrompait la fête officielle ; le peuple se mettait alors à danser sous la pluie comme on le vit pour la Fête de la Fédération. Elles se retrouvaient encore mieux après les cérémonies. C’est la joie populaire qui dressa spontanément le fameux écriteau : « Ici on danse ! » le soir de la prise de la Bastille. C’est des bals parisiens qu’est sorti le Ça ira ! chanté pour la première fois par le peuple travaillant aux préparatifs du Champ de Mars pour le 14 juillet 1790. « Ce chant, dit Michelet, fut un viatique, un soutien, comme les proses que chantèrent les pèlerins qui bâtirent révolutionnairement au moyen-âge les cathédrales de Chartres et de Strasbourg ». L’air du Ça ira ! était celui d’une contredanse de Bécourt, appelée le Carillon national. C’est aussi sur un air de danse populaire que se chanta la Carmagnole. Cet air vint de Provence où il faisait danser les « carmagnola », ouvriers italiens occupés aux travaux des champs. Les Marseillais l’apportèrent à Paris en même temps que la Marseillaise. La danse populaire ne fut aux honneurs officiels pendant la Révolution que pour la plantation des « arbres de la Liberté ». À cette occasion, Grétry composa une ronde sur des vers pompeux, dans le goût de l’époque :

        Que ton emblème, ô Liberté,
        Soit le signal de la gaieté !
Plantons l’arbre sacré, l’honneur de ce rivage ! etc…

Nous ne savons si villageois et villageoises chantèrent et dansèrent beaucoup cette ronde.

Depuis la Révolution, en France en particulier, le peuple a abandonné la véritable danse qui était née de lui pour s’adapter aux danses de société. Il en a été de la danse comme de toutes les formes de la vie qui tiraient du peuple leur caractère. La mode, qui a unifié les individus dans leurs gestes et leurs apparences, a fait de la danse ce qu’elle fait de tout ce qu’elle touche : une chose qui n’a plus d’âme et de beauté. Le peuple s’est mis de plus en plus à danser sans joie véritable. Il ne chante plus en dansant, mais il boit. La danse n’est plus unie à la chanson, l’expression de ses sentiments ; elle est, arrosée d’alcool, unes des marques de sa déchéance, une des formes de la lamentable neurasthénie qu’il traîne dans tous ses plaisirs. C’est ainsi que pour fêter « l’anniversaire de La liberté », le 14 juillet, aux carrefours et sous l’œil réjoui