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les villageois appelés au château pour apprendre la carole et le branle aux châtelaines et à leurs pages. Ils devinrent des maîtres de danse de plus en plus importants et célèbres qui formulèrent et rédigèrent les règles de la chorégraphie. Il y avait une vieille chanson de maître de danse qui disait :

Trois pas du côté du banc,
Et trois pas du côté du lit,
Trois pas du côté du coffre,
Et trois pas. Revenez ici.

L’italien Fabrizio Caroso de Semoneta publia le premier, à Venise, en 1581, un ouvrage :Le Ballarino, où il décrivit un grand nombre de danses et en formula les règles. En 1588, le chanoine Tubourot, de Langres, faisait paraître son Orchésographie, manuel technique de chorégraphie où il donnait en particulier des détails sur les branles. Le travail de Tabourot fut repris et complété en 1700 par Feuillet ; En 1662, une Académie de danse avait été fondée à Paris. Beauchamp, professeur de Louis XIV, en devint directeur en 1664. Il fut aussi surintendant du corps de ballet. Le ballet était devenu à la Cour un spectacle complet, d’une technique de plus en plus compliquée. Des auteurs célèbres y travaillaient : Benserade, Quinault, Monère, Lulli, etc… Molière fournit à Lulli des comédies-ballets : Le Sicilien (1667), Psyché (1671), les intermèdes de l’Amour médecin (1665) où la comédie, le ballet et la musique chantaient ensemble :

Sans nous tous les hommes
Deviendraient malsains,
Et c’est nous qui sommes
Leurs grands médecins.

Ceux de Monsieur de Pouceaugnac (1669), du Bourgeois Gentilhomme (1670), du Malade Imaginaire (1673).

Lorsque Lulli obtint le privilège de directeur de l’Académie royale de musique, ou Opéra, en 1672, le ballet de Cour, auquel il avait donné le plus grand éclat, disparut et la danse entra à l’Opéra. Elle n’y fut, pendant un certain temps, qu’un intermède dans les opéras. Elle allait y prendre sa véritable place à la suite de la réforme réalisée par Beauchamp qui fit paraître des danseuses sur la scène. Jusque-là on n’y avait vu que des danseurs. Cette révolution se fit en 1681, pour les représentations du Triomphe de l’Amour, ballet de Quinault et Lulli. Elle donna tous ses effets au fur et à mesure que les danseuses affirmèrent leur supériorité sur les danseurs. En même temps, on enleva à ceux-ci les masques qu’ils portaient et les accoutrements grotesques qui convenaient aux farces du théâtre italien mais non à un art qui allait se distinguer par toujours plus de grâce.

Pécourt, qui succéda à Beauchamp, inventa de nombreuses danses appelées « galantes ». Elles sont décrites, avec celles de Beauchamp, dans l’ouvrage de Feuillet : La Chorégraphie ou l’art de décrire la danse.

Au commencement du xviiie siècle, la comédie-ballet fut remplacée par le ballet-pantomime devenu le ballet d’aujourd’hui. La duchesse du Maine, qui eut l’idée de cette transformation, fit mettre en musique par Mouret, comme pour les chanter, les vers des Horaces qui furent mimés par les danseurs. Chamfort devait demander plus tard, en plaisantant, qu’on fit danser les Maximes de La Rochefoucauld. On a vu danser depuis sur des sujets encore plus hermétiques, du Schopenhauer par exemple, à qui des danseuses « inspirées » rendirent ainsi la monnaie de ses boutades contre les femmes. La création du ballet-pantomime spécialisa davantage les danseurs en les distinguant complètement des comédiens et des chanteurs. L’expression des sentiments de leurs personnages n’étant plus que dans leurs gestes, ils donnèrent à leur mimique et à leur danse une perfection grandissante. Marcel, le grand maître de danse de l’époque, s’efforça de débarrasser la danse de tout

ce qui était disgracieux et de la rendre distinguée. Son enseignement fut réalisé surtout par le danseur Dupré, appelé « l’Apollon de la danse ». Son successeur, Noverre fit atteindre à la danse dramatique tout son éclat en formant des élèves comme Gardel et surtout les Vestris. Le musicien Rameau avait fait paraitre son maitre à danser en 1748. Noverre écrivit ses Lettres sur les arts en général et la danse en particulier (1760). Les écrits de Rameau et de Noverre et les perfectionnements pratiques réalisés fournirent les éléments de l’ouvrage le plus complet qui soit paru sur la danse, celui de Magny, Principes de chorégraphie (1765).

Noverre mit à la scène les ballets des opéras de Gluck et de Piccinni où brillèrent les Vestris non sans que Gluck, en particulier, ait eu des démêlés avec eux. Le succès des Vestris fut immense. L’aîné, Gaëtan, fut aussi remarquable par sa vanité que par son talent. Il disait : « Il n’y a que trois grands hommes au monde : moi, Voltaire et le roi de Prusse ». Gluck devait se taire devant ce « grand homme » qui voulait bien danser sur sa musique. Toute la Cour allait chez les Vestris pour apprendre les révérences. Mais les grands danseurs allaient être éclipsés par les grandes danseuses. Les premières furent Mlle Prévost, son élève et sa rivale la Camargo qui la première « battit l’entrechat à quatre », et Mlle Sallé qui passa du Théâtre de la Foire à l’Opéra. Vinrent ensuite la Guimard, célèbre par ses folies amoureuses autant que par sa danse, et nombre d’autres, sans oublier Mlle Bigottini qui fit pleurer tout Paris par l’expression de sa mimique dans Nina ou la Folle par amour.

A la suite de Lulli, Mozart, Rameau, Méhul, Berton, Cherubini, Kreutzer, écrivirent la musique des ballets. Mais ce n’est qu’après la Révolution et l’Empire que ce genre prit toute son importance et que les musiciens lui donnèrent une réelle originalité.

Le corps de ballet de l’Opéra, sinon la danse, occupa à côté des chanteurs, une grande place dans les fêtes de la Révolution. Il dut se multiplier pour participer aux cérémonies nationales. (Voir Julien Tiersot : Les fêtes et les chants de la Révolution Française). Mais la cérémonie où la danse aurait eu le plus de part n’eut pas lieu. Le programme en avait été préparé par David pour le transfert au Panthéon des cendres de Bara et Viala. Les danseurs y participaient autant que les musiciens et les chanteurs, comme dans la chorodie antique. Ils devaient exprimer les regrets de patriotes « par des pantomimes lugubres et militaires », puis, dans l’apothéose, « pendant que les danseuses, d’un pas joyeux, répandraient des fleurs sur les urnes et feraient disparaître les cyprès, les danseurs, par des attitudes martiales, célèbreraient la gloire des deux héros ». La chute de Robespierre arrêta la réalisation de ce programme. La danse allait prendre une allure moins héroïque pour participer aux orgies de la République de Barras. Pendant la Révolution, on représenta dans les théâtres des ballets de circonstance comme la Rosière républicaine ou deux danseuses, costumées en religieuses, dansèrent avec Vestris qui était en « sans-culotte », dans le costume que les révolutionnaires avaient emprunté aux images du dieu Atys le Phrygien.

Lorsque l’art fut débarrassé du joug napoléonien et qu’il connut l’épanouissement de l’époque romantique, la danse dramatique vit s’ouvrir devant elle de nouveaux horizons. M. de La Rochefoucauld, continuant la tradition des maniaques de tous les siècles, avait voulu allonger les jupes des danseuses sous la Restauration. On les raccourcit au contraire jusqu’à la taille en créant le « tutu ». En même temps, la danseuse se dressant sur les « pointes », gravit ce que M. Levinson appelle lyriquement, de nos jours, le « deuxième échelon de l’ascension verticale de l’humanité », le premier ayant été franchi lorsque le quadrumane redressa son échine pour marcher sur ses pattes de derrière. C’est le