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ce que nous savons, c’est que le droit de légitime défense est exploité avantageusement, par le policier qui a, de ce fait, droit de vie et de mort sur la personne qu’il est chargé d’arrêter, par le mari « trompé » qui n’hésite pas à se prétendre en droit de.légitime défense lorsqu’il abat le « complice » de sa femme, enfin par tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, attentent à la vie ou à la liberté de leurs semblables, il est remarquable que ce soit toujours la même catégorie d’individus qui légalement bénéficie du droit légal de légitime défense. Lorsque, arrêté au cours d’une manifestation, le manifestant est brutalement frappé par le policier, chargé, dit-on, de maintenir l’ordre, le policier est considéré comme étant en état de légitime défense ; il n’est donc pas excessif de prétendre que lorsque le manifestant se défend contre les violences policières, il est en état de défense légitime.

Naturellement, le droit de défense légitime n’est pas reconnu par la loi, au contraire. La magistrature sévit, sans aucune indulgence contre ceux qui ont le courage de résister à l’oppression de l’ordre établi, et c’est ce qui explique le nombre incalculable de malheureux qui gémissent dans les prisons et les bagnes capitalistes.

On peut considérer comme étant en état de défense légitime, tout ce qui s’oppose à l’arbitraire et à l’injustice. La société moderne n’est ni juste ni équitable, et tous les gestes, tous les actes qui ont pour but d’amoindrir les effets néfastes de l’injustice, engendrée par l’organisation sociale actuelle, sont des gestes et des actes de défense légitime. Le travailleur qui pour améliorer son sort, abandonne l’atelier et se met en grève afin d’obtenir une augmentation de salaire, ou une diminution d’heures de travail, est en état de défense légitime, contre son patron qui se refuse à répondre favorablement à ses revendications légitimes ; et lorsque le Gouvernement afin de soutenir le capitaliste contre le prolétaire, met son armée au service de la richesse, le travailleur n’est-il pas en état de défense légitime, lorsqu’il oppose la révolte et la violence à l’intervention gouvernementale ?

La défense légitime se manifeste selon les périodes et les événements de différentes façons ; elle est parfois collective, et parfois individuelle. Lorsqu’elle est individuelle, c’est que la collectivité reste passive devant l’attaque de ses oppresseurs, et il se produit alors qu’à la suite d’un crime social ou encore pour éviter une injustice, un homme se dresse hors du troupeau pour supprimer les responsables de mesures qu’il juge arbitraires et dangereuses pour ses semblables. Il ne nous appartient pas de démontrer l’efficacité ou l’inefficacité de ces gestes, mais ce que l’on peut affirmer c’est qu’ils.sont déterminés par l’attaque continue d’une partie la plus puissante de la collectivité humaine et qu’en conséquence, il doit être considéré comme un acte de défense légitime.

Nous disons plus haut que la défense légitime est tout ce qui s’oppose à l’arbitraire et à. l’injustice, et l’on peut donc classer, comme étant en état de défense légitime tous ceux qui se refusent à servir de matière à champ de bataille durant les guerres, celles-ci étant un véritable crime envers l’humanité. Il faut se défendre. La vie est une lutte constante et celui qui ne se défend pas est écrasé. Ce qui fait la faiblesse du peuple, c’est sa naïveté à croire qu’il est garanti durant toute sa vie par la législation qui, en vérité, loin de le défendre, l’opprime. Il lui faut donc s’il veut triompher lutter contre la loi, lutter contre ceux qui la font et ceux qui l’appliquent, lutter contre tous les rouages d’une société mal faite, en un mot, se défendre contre tout l’organisme capitaliste qui nous dirige et nous étreint.

Ce n’est ni la vengeance ni la haine qui nous guident, nous, anarchistes, dans notre conception de la défense légitime. « Ce qui est grand et beau se suffit à soi-même,

et porte en soi sa lumière et sa flamme », a dit J.-M. Guyau ; c’est parce que nous savons que l’humanité ne sera régénérée que par la défense, que nous opposons aux forces coalisées du capital, que nous nous révoltons contre les crimes monstrueux d’un régime périmé et que nous trouvons une force suffisante pour résister à tous les assauts de nos adversaires. Nous sommes en état de défense légitime et nous y resterons jusqu’au jour où le capitalisme et ses rouages, fatigués de la lutte, nous permettront de prendre l’offensive pour élaborer sur leurs ruines une société de douceur et de fraternité.


DÉFENSE RÉVOLUTIONNAIRE. S’il est une question qui a une importance pour ainsi dire primordiale, dans le problème de la révolution, s’il est une chose qui a fait couler beaucoup d’encre, échafauder de multiples systèmes, et dire le plus de bêtises, c’est bien cette question de la Défense Révolutionnaire. Certes, pour d’aucuns, elle peut sembler puérile et comme subséquente à la révolte, car beaucoup d’esprits simplistes pensent que l’on perd son temps à vouloir solutionner ou tenter de solutionner certains problèmes avant que l’heure des réalisations n’ait sonné. Ils disent : « On aura bien le temps de penser à tout cela au moment où la Révolution éclatera. Occupons-nous pour l’instant de choses plus sérieuses. Quand nous serons en pleine révolution, des solutions surgiront qui s’imposeront d’elles-mêmes. N’y a-t-il pas une sorte de fatuité et d’illogisme à vouloir prévoir ce que pourrait être l’avenir ? Donnons notre temps au présent, cela seul importe. »

Eh bien ! nous pensons que, s’il faut laisser aux événements le soin de résoudre certains problèmes, nous pouvons, nous devons à la fois prévenir et même, prévenir certains maux qui pourraient advenir si nous nous laissions aller au gré de l’improvisation circonstancielle. Et nous pensons que « la défense révolutionnaire » est une chose trop grave pour que nous laissions au seul hasard le soin d’y pourvoir. Aussi, nous basant sur les leçons de l’histoire, en même temps que de la raison, voulons-nous étudier à fond ce problème, encore que nous regrettions d’être obligés de nous restreindre ; car ce n’est pas un article encyclopédique, mais un gros volume qu’il faudrait pour examiner minutieusement tous les côtés de la question.

Pour la clarté de notre exposé, divisons en trois parties la défense révolutionnaire. C’est-à-dire : 1° Avant ; 2° pendant ; 3° après la révolution.

Avant la Révolution. — Partout existent des groupements qui ont pour but (soit par la propagande éducative, soit par l’agitation, soit par des actes appropriés aux circonstances), de fomenter dans la masse la colère, l’indignation, en un mot l’esprit de révolte qui doit se muer tôt ou tard en insurrection. Ces groupements révolutionnaires sont donc partie intégrante de la révolution, puisqu’ils, en assument pour ainsi dire la préparation.

Or, il est de fait que les classes dirigeantes ne sont plus, comme au siècle dernier, endormies par l’optimisme que pourrait leur conférer la détention du Pouvoir. Elles savent très bien, et les événements du passé suffiraient à le leur apprendre, que le sort des dirigeants est précaire ; que telle caste qui fut jadis toute puissante est aujourd’hui obligée de s’allier, pour ne pas la subir, à une classe qu’elle opprimait naguère. D’autre part, elles connaissent l’état lamentable du peuple et son mécontentement de jour en jour grandissant. Elles sont à même de constater que l’idée révolutionnaire fait journellement de grands progrès. Aussi, sont-elles prêtes à tout pour écraser au moindre mouvement les militants qui pourraient entraîner la