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ou sous le coup des poursuites auxquelles elles n’échappent qu’en se cachant ou s’expatriant. Nous devons à la vérité de dire que, dans presque tous les pays qui ont pris part à l’épouvantable guerre de 1914-1918 l’amnistie totale a été promulguée.

Sur l’Amnistie prise dans son sens général, les Anarchistes ont une conception à part. Leur théorie sur ce point s’éloigne de toutes les théories autoritaires. De la première à la dernière, toutes celles-ci affirment la nécessité d’une législation (l’Autorité ne se conçoit pas sans la Loi qui édicte ce qui est permis et ce qui est défendu) et d’une échelle de sanctions qu’il appartient aux tribunaux d’appliquer aux délinquants (la Législation ne se conçoit pas sans une Magistrature qui en réprime la violation). Les théories autoritaires, en conséquence, tiennent pour justes et nécessaires les condamnations prononcées et les poursuites engagées contre ceux qui ont enfreint la Loi. Il en résulte que, lorsqu’un parti politique propose, réclame l’Amnistie, ce n’est pas, ce ne peut pas être au nom de la Justice et dans un sentiment d’équité, mais au nom de l’Indulgence, de la Pitié, de l’Humanité et, il faut y insister, dans un but politique. Il n’est pas un parti politique — de Gouvernement ou d’Opposition — qui ne sache qu’un jour ou l’autre il sera en posture de vaincu et qu’il aura, alors, besoin de solliciter son pardon. Il n’est pas une forme de l’Autorité, si forte qu’elle se croie, dont les partisans ne soient exposés tôt ou tard à perdre le pouvoir et à connaître à leur tour l’amertume de la persécution. À la longue, dans le cours de l’histoire, l’équilibre s’établit entre les vainqueurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; en sorte que les uns et les autres sentent instinctivement que l’heure sonnera pour tous de faire appel à la grande loi de pardon, d’effacement, d’oubli, d’amnistie. Après s’être ainsi amnistiés les uns les autres, il se trouve qu’ils ne se doivent rien, que la balance s’établit, qu’ils sont quittes. Seuls, les Anarchistes, voulant briser le Pouvoir et non le conquérir, savent qu’ils ne seront jamais conduits à forger des lois et à instituer des tribunaux. Seuls, ayant en égale exécration l’Autorité qu’on exerce et l’Autorité qu’on subit, ils ont la certitude de ne jamais devenir des oppresseurs, des persécuteurs. C’est pourquoi l’Amnistie ne saurait être à leurs yeux la pratique d’un système de bascule ou de compensation. Niant aux autres le droit de forger des lois et d’en appliquer les sanctions à qui les enfreint, ils ne mendient pas la pitié des Gouvernants, ils ne s’adressent pas à leur clémence, ils ne font pas appel à leurs sentiments d’humanité. C’est au nom de la Justice, de la pure et sainte Équité qu’ils réclament, qu’ils exigent l’Amnistie et qu’ils mettent les Gouvernements en demeure de rendre à la liberté ceux qu’ils n’avaient pas le droit d’en priver. Les libertaires pensent que les coupables ne sont pas ceux qui sont frappés par la Loi, mais bien ceux qui la font et l’appliquent. Ils ont conscience que les coupables ne sont pas ceux qui sont poursuivis ou jetés en prison, mais, au contraire, ceux qui les poursuivent et les emprisonnent.

Une société anarchiste est incompatible avec la survivance des geôles et des bagnes ; une des premières tâches de l’Anarchisme, en période de Révolution, sera de mettre le feu aux prisons et d’abolir les Palais de Justice. Ils n’auront donc jamais d’Amnistie à accorder, puisque jamais ils n’auront condamné ni enfermé personne. Et, cependant, toutes les fois que s’ouvre une campagne en faveur de l’Amnistie, les Anarchistes sont de ceux qui s’y engagent avec le moins d’hésitation et le plus d’ardeur. Ils font entendre leurs voix dans les meetings publics ; ils multiplient les articles, les manifestes, les affiches qui convient le peuple à exiger l’Amnistie ; ils provoquent des démonstrations sur la voie publique afin de saisir de leur volonté

d’amnistie la foule indifférente et d’intéresser l’opinion publique à la libération des victimes de l’Autorité. Et souvent on a vu des anarchistes qui s’étaient proposés d’ouvrir les prisons, par l’Amnistie, à quelques-uns de leurs frères, y entrer eux-mêmes et aller, ainsi, rejoindre en captivité ceux qu’ils voulaient libérer. Si les Anarchistes se donnent de plein cœur à toute agitation en vue de l’Amnistie, alors qu’ils savent la vanité d’une telle mesure, puisque les portes ouvertes aux amnistiés d’aujourd’hui se fermeront demain sur de nouvelles victimes, c’est qu’ils entendent se mêler à toute action ayant pour objet de soustraire quelques victimes à la vindicte publique, et leur fournissant l’occasion de flétrir le régime qu’ils combattent, de stigmatiser l’iniquité sociale sous une de ses formes les plus odieuses, de communiquer à la masse des pauvres qui sont quotidiennement exposés aux rigueurs de la Loi le mépris et la colère qu’ils ressentent contre tous ceux qui s’arrogent le droit de condamner, de faire lever dans la multitude le levain de la Révolte libératrice.

Si, chaque fois que les circonstances sont favorables à un mouvement populaire luttant pour l’Amnistie, les Anarchistes sont au premier rang, c’est qu’il leur est doux de tenter quelque chose pour diminuer, si peu que ce soit, les souffrances de ceux qui aspirent à sortir du bagne, de la prison ou de l’exil pour reprendre parmi leurs amis, dans leur foyer, à l’usine où aux champs, au milieu de ceux qu’ils chérissent et qui les aiment, la place d’où la méchanceté et l’injustice des hommes les ont momentanément chassés. L’Amnistie est comme une libération partielle, en attendant la grande Amnistie : la Révolution qui enfoncera la porte de toutes les prisons et sera, Elle, la libération totale et définitive. — Sébastien Faure.


AMOUR. Ce mot est souvent un nom de genre et s’accompagne d’un adjectif qui désigne l’espèce : amour paternel, amour filial, amour sexuel, etc.

Lorsque nulle épithète ne s’y joint, il est pas univoque. Pour la plupart des philosophes, il reste nom de genre, désigne tout sentiment affectueux et s’oppose à haine. Au langage mystique, au langage commun aussi, il exprime parfois des sentiments de fraternité humaine (voir aux mots Charité et Fraternité) ou même certaines émotions devant la beauté réelle ou imaginée du Cosmos (voir ce mot).

Au langage le plus courant, amour désigne l’affection pour un être dont on désire, rêve ou connaît le baiser. Littré dit : « Sentiment d’affection d’un sexe pour l’autre. » Définition trop étroite et qui résout, d’un dogmatisme sournois, une grave question. Que le fait plaise ou déplaise, il y a eu, il y a des amours entre personnes du même sexe.

Plusieurs législations condamnent l’amour homosexuel et il rencontre une opinion publique railleuse ou sévère. Est-ce parce que cette forme d’amour évite trop sûrement les pièges du génie de l’espèce ? Est-il condamné pour les mêmes raisons que le malthusianisme ? (Tout législateur est un grand repopulateur par procuration.) Est-ce parce que les religions modernes condamnent le plaisir et ne lui accordent quelque tolérance que s’il contribue aux prétendues fins de Dieu ou de la Nature ?…

L’anarchiste obéit, en ce domaine, à ses goûts personnels, et il ne blâme jamais les goûts innocents différents des siens. Or, il appelle innocent ce qui ne fait de mal à aucune personne réelle. Quant aux fameuses « personnes morales » (voir ce mot), il les considère, selon les cas, avec la plus froide indifférence ou la plus légitime hostilité.

Solon ne punissait le non-conformisme que chez l’esclave qui le pratiquait avec une personne de con-