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« Le gaz utilisé ne serait pas nécessairement à effet temporaire, puisque le but consisterait à gêner ou détruire le centre d’activité qui serait l’objectif de l’attaque. Le gaz moutarde, par exemple déversé en forte quantité sur de grandes villes, resterait probablement pendant longtemps sur le sol et pénètrerait graduellement dans les maisons.

« Il faut espérer qu’on trouvera un moyen efficace de protéger les populations civiles contre de tels dangers, mais Il faut admettre que le problème est difficile. La fourniture de masques à une population entière semble être presque impraticable et il reste encore à prouver que les méthodes de protection collective soient efficaces.

« En l’absence de ces moyens et sans indications préalables sur le point d’attaque, toute protection complète est impossible. De plus, les gaz toxiques lourds demeurent près du sol, même en pleine campagne pendant un temps très long. Dans une ville, il est difficile de dire le temps pendant lequel ils resteraient et persisteraient à constituer un danger.

« On pourrait dire sans doute qu’un tel développement de la guerre serait trop odieux et que la conscience humaine se révolterait contre de pareilles pratiques.

« Cela est possible, mais étant donné que, dans les guerres modernes telles que la dernière, toute la population d’un pays se trouve plus ou moins directement engagée, il est à craindre que des belligérants peu scrupuleux ne fassent pas de différence entre l’usage de gaz toxiques contre les troupes sur le champ de bataille et l’usage de ces gaz contre les centres qui fournissent à ces troupes les moyens de se battre.

« En conclusion : constatant, d’une part, les applications de plus en plus nombreuses et variées de la science à la guerre, observant d’autre part, que le véritable danger, — danger de mort — pour une nation serait de s’endormir confiante en des conventions internationales, pour se réveiller sans protection contre une arme nouvelle, il paraît à la Commission essentiel que les peuples sachent quelle terrible menace est ainsi suspendue sur eux ».

Nous avons tenu à reproduire ce texte en son entier, car il est, dans son ensemble, non seulement un avertissement pour les peuples, mais aussi une preuve de l’impuissance dans laquelle se trouve, en 1927, cette fameuse Société des Nations, à écarter les conflits entre nations. Et de plus cet exposé nous éclaire lumineusement sur le désarmement. On comprend pourquoi certaines grandes nations ne se refusent pas à réduire leurs effectifs militaires, à détruire certaines vieilles unités navales, ne se trouvant plus en rapport avec les besoins de la guerre moderne, tout en s’organisant puissamment dans l’attente de nouvelles hécatombes.

« L’extrême facilité », dit le rapport que nous reproduisons « avec laquelle les usines peuvent être transformées, presque en une nuit, en fabrique de matériel destiné à la guerre chimique fait naitre un sentiment de crainte ». Il est évident que cela complique sensiblement le problème du désarmement, que telle puissance peut paraître très faible si l’on considère le nombre de ses troupes, de ses canons, de ses navires, et être très forte au point de vue chimique.

Et, bien que, dans les cercles officiels, on parle, pour le peuple, de désarmement, il est notoire que chaque puissance du monde envisage dès à présent l’utilisation des gaz nocifs dans la guerre qui vient et cela est tellement vrai que, le 26 juillet 1926, le journal Paris-Soir publiait ce petit entrefilet suggestif malgré sa brièveté :

« Londres, 26 juillet. — Demain M. C. G. Ammon parlera à la Chambre des Communes de la guerre aérienne.

« Il demandera au gouvernement de voter une loi

rendant obligatoire la possession d’un masque à gaz. » Cette mesure est indispensable, a déclaré dans son rapport l’auteur de cette interpellation, car en cas de guerre, d’un moment à l’autre, une ville peut être anéantie par des gaz lancés par avions.

« En créant cette obligation du masque, les municipalités, à des périodes fixes, — trois ou quatre fois par an — feront passer les populations dans des chambres à gaz afin de leur bien apprendre à s’en servir. (Paris-Soir). »

Ce n’est donc pas sans raison qu’au début du mois d’août 1926, Han Ryner lançait ce manifeste à la population, afin de l’éclairer sur les dangers qui la menacent.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrit Rabelais. Mais la science a progressé depuis et si la conscience ne se réveille pas en l’homme la science ne ruinera pas seulement l’âme.

« Si l’homme reste assez vil pour laisser faire les gouvernements, et pour obéir à ceux qui ont assez peu de conscience pour se prétendre des chefs ; s’il reste l’être discipliné qui se laisse mener en troupeaux et en armées, c’est l’humanité même qui, grâce à la science, fera hara-kiri.

« Et voici, d’après le National Zeitung de Bâle, comment le grand suicide du genre humain risque de commencer :

La guerre vient brusquement d’être déclarée. Aucune difficulté urgente, insoluble, ne semblait la rendre imminente. Au contraire, les dernières nouvelles étaient plutôt rassurantes.

La condamnation à mort de l’Europe n’est connue du Gouvernement que depuis cinq minutes. La presse n’en sait encore rien, le public non plus.

Les rues sont remplies d’une foule anxieuse excitée mais qui ne se doute rien.

Tout à coup, une odeur de violette, d’abord légère, puis insupportable, envahit les rues et les places. Déjà l’air n’est plus respirable.

Qui ne réussit pas à s’enfuir à temps — et bien peu y réussissent — devient rapidement aveugle, perd connaissance, s’effondre sur le sol et étouffe.

Le ciel est parfaitement serein, bleu, sans nuages, aucun avion en vue.

Cependant, à quatre ou cinq mille mètres au-dessus du sol, hors de la portée de la vue et de l’ouïe, une escadrille évolue, sans pilote, sous l’action d’ondes hertziennes, et laisse couler sur le sol sa charge de gaz lacrymogène (le gaz le plus « humain » ) ou de lewisite, moins agréable déjà, ou même de bichlorure d’éthyle sulfuré, le gaz moutarde, roi des poisons.

La guerre des gaz a commencé. L’action du gaz moutarde, dernier cri de la technique moderne, ne saurait être décrite en termes trop atroces. Des dix-sept espèces de gaz utilisés jusqu’ici avec succès, c’est de beaucoup la plus parfaite. C’est la mort même.

Aucun masque ne protège contre lui. Il ronge les chairs. Lorsqu’une région a été saturée par le gaz, chaque pas, chaque poignée de porte, chaque couteau à faire reste pendant des mois mortels.

Les aliments ne peuvent plus être consommés. L’eau est empoisonnée. Toute vie se trouve anéantie.

Encore deux ou trois guerres utilisant de tels progrès et il ne restera plus personne pour dire : « Je n’ai pas voulu cela ». (Han Ryner).

Est-il besoin d’ajouter quoi que ce soit ? Il est évident, indéniable, que l’armement moderne, plus terrible que celui qui l’a précédé est une menace pour l’humanité et que le monde va à la ruine si les peuples ne se réveillent pas de leur torpeur. Certains prétendent que la guerre serait trop monstrueuse et qu’aucun homme d’Etat ne prendrait sur lui la lourde responsabilité de