Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/534

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
DES
533

déshonneur est toujours relatif à la conception que l’on se fait de l’honneur ; or, il y a des gens qui ont une conception particulière ou erronée de ce qu’est l’honneur et qui se trouvent déshonorés pour des causes et des raisons différentes. Une jeune fille se trouvera déshonorée parce que, sans être liée par les liens du mariage légal, elle aura cédé aux désirs de son amant, alors que telle autre plus consciente et plus logique ne se considérera pas amoindrie par l’accomplissement d’un acte naturel. Le souteneur, déchet social, qui vit de la prostitution de la femme, et qui accepte que sa compagne se livre contre argent au passant inconnu, se juge offensé si cette dernière se permet d’entretenir gratuitement des relations sexuelles pour satisfaire ses désirs, et se considérerait déshonoré s’il ne lavait pas dans le sang cette incartade aux lois de prostitution ; il en est de même pour le mari « trompé » qui va laver son déshonneur en tuant l’amant de sa femme. Il y a donc autant de conceptions du déshonneur que de l’honneur, et nous savons qu’en bien des cas l’honneur est un préjugé qui puise sa source dans l’ignorance. Que de parents se croient déshonorés parce qu’à l’âge de vingt ans, leur fils s’est refusé de répondre à « l’appel du pays » pour accomplir son service militaire, et que de gens se croient déshonorés par le jugement des hommes, et pourtant ! En notre siècle d’exploitation ce sont les plus coupables qui sont à l’honneur.

La bourgeoisie pense déshonorer le travailleur en le jetant en prison ; cependant « la puissance souveraine peut maltraiter un brave homme, mais non pas, le déshonorer » (Voltaire).

Pour nous, Anarchistes, qui devons avoir de l’honneur une conception différente de celle du commun, nous pensons que le déshonneur n’est pas subordonné aux jugements des moralistes ou des magistrats, mais qu’il est inhérent à une mauvaise action commise.

Tout acte qui a pour but le bien-être de l’humanité, tout ce qui ne nuit pas à son prochain sous quelque forme que ce soit ne peut être déshonorant. Au contraire tout ce qui nuit à la marche en avant de la civilisation, tout ce qui s’oppose au progrès et à l’évolution du genre humain peut être considéré comme déshonorant. Le policier qui arrête le militant ou l’ouvrier au cours d’une grève ou d’une manifestation est déshonoré à nos yeux et non sa victime, et c’est lui pourtant qui est couvert par la loi et qui sort légalement glorifié de l’aventure. La répression en ce cas est déshonorante pour celui qui l’exerce et non pas pour celui qui la subit. La loi bourgeoise qui entend ; veiller à l’honneur de la société est un tissu de contradictions. Tel homme, pour une raison quelconque, parce qu’il y trouve un certain intérêt physique ou moral, supprime un de ses semblables ; l’acte est mauvais en soi, et cet homme est déshonoré. Supposons que ce même homme, en période de guerre et sans aucune raison, simplement parce qu’il y est contraint et forcé, supprime plusieurs de ses semblables ; il est l’objet de l’admiration publique et recevra les honneurs et les félicitations de ses supérieurs.

Notre conception de l’honneur n’est pas si complexe. Pour nous, chacun est libre de faire ce qui lui plaît, à condition de ne pas entraver la liberté de son prochain. C’est la base de tout l’honneur anarchiste. Il en découle nécessairement certaines obligations sociales que nous devons avoir à cœur de respecter. Luttant contre toutes les tares, tous les vices, toutes les erreurs inhérentes à la Société bourgeoise, nous ne nous considérons pas comme déshonorés par les assertions mensongères et les crimes que l’on nous impute. Nous avons conscience d’être dans la vérité et l’honneur pour nous est de poursuivre notre travail et notre lutte jusqu’à la complète libération du monde.

Les Anarchistes n’ont que faire de cet honneur militaire qui est une source de larmes et de crimes ; et, loin

de se considérer comme déshonorés lorsqu’ils refusent de participer à un massacre quelconque, ils pensent au contraire accomplir une belle et noble action que tous les hommes auraient intérêt à prendre en exemple. Ils ne se jugent pas déshonorés lorsqu’ils refusent de se prêter aux comédies du mariage légal, ils savent leurs droits et ils connaissent leurs devoirs, et n’ont pas besoin de l’autorisation d’un officier d’état civil pour accomplir un acte qui ne regarde que les intéressés ; ils se moquent de l’honneur civique, tel que le conçoivent les fidèles défenseurs des régimes d’autorité et leur honneur consiste à travailler au bonheur de l’humanité qu’ils espèrent un jour réaliser.


DESIDERATUM. Mot emprunté au latin et dont la signification littérale est : « Désiré » ; au pluriel : « desiderata ». Dans le domaine scientifique ce mot s’emploie pour signaler toutes les parties d’une science qui n’ont pas été traitées et dans laquelle on désire voir s’exercer des recherches, mais il est entré dans le langage courant et au sens populaire sa valeur s’est étendue.

Dans le domaine social ce mot s’emploie fréquemment pour signaler les désirs d’une collectivité. « Le député présente à l’Assemblée les « desiderata » de ses électeurs » ; la délégation syndicale présente à un patron les « desiderata » des travailleurs. Ce mot est donc synonyme de désirs, et dans le domaine social il marque la volonté du mandant d’aboutir à un résultat et de mener la lutte pour obtenir satisfaction.

Le desideratum de la classe ouvrière est la disparition de l’exploitation de l’homme par l’homme, source de toutes les misères et de tous les abus sociaux.


DÉSILLUSION. n. f. État de celui qui a perdu ses illusions. Il existe des gens, et ils sont des plus nombreux, qui passent leur existence loin de la terre sur laquelle ils reposent et vivent dans un songe sans cesse renouvelé. Leur conception de la vie étant étayée sur une erreur, ils attendent toujours des réalisations qui ne se matérialisent jamais et leurs illusions s’envolent avec la même rapidité qu’elles ont été conçues. Ce sont les éternels désillusionnés. A peine se sont-ils rendu compte de la fragilité et de l’irréel de leurs espérances, qu’ils élaborent de nouveaux châteaux de cartes emportés à leur tour par le vent de la vie, et ce perpétuel jeu d’illusions et de désillusions en fait des êtres incomplets et incapables de s’armer pour la lutte sociale. Sébastien Faure, je crois, nous conte dans une de ses œuvres l’histoire de cet amant de l’absolu qui se maria un jour, croyant avoir rencontré la femme idéale, la femme telle qu’il l’avait imaginée dans ses rêves. Ce fut pour lui une désillusion lorsqu’il s’aperçut que sa compagne était semblable à toutes les compagnes, et l’abandonnant, il en prit une seconde qui lui apporta les mêmes désillusions, puis une troisième et toujours ses espérances déçues donnaient naissance à d’autres espérances, mais jamais il ne trouva le bonheur matrimonial.

C’est dans toutes les branches de l’activité humaine que cet homme se rencontre, car l’humanité est incomprise de la grande majorité des individus. L’homme attend encore des forces occultes des bienfaits et des améliorations ; il s’imagine qu’en dehors de lui il existe quelque chose qui peut concourir à son bien-être et à son bonheur et il se forge des illusions que la brutalité de l’existence et de la réalité s’empresse de détruire. L’inconstance qui en résulte rend plus pénible le travail de ceux qui, éclairés à la lumière des faits, restent dans le droit chemin, ont une conception exacte de ce qu’est la lutte pour la vie et, loin de se nourrir de chimères, veulent trouver en eux la force et la puissance indispensables à la transformation sociale du monde.

L’humanité est ce que la font les individus. Les hom-