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tialité ce qu’est une prison, pour savoir qu’elle n’est peuplée ordinairement que par des vagabonds, toujours les mêmes, et que les grands criminels qui pourraient légitimer uns mesure de sécurité de la part de la « Société » y sont relativement peu nombreux..

En vérité, ce n’est pas par mesure de précaution que l’on détient des prisonniers mais en vertu de l’idée de sanction qui est à la base de la morale bourgeoise.

« Le vice appelle rationnellement à sa suite la souffrance ; la vertu constitue une sorte de droit au bonheur ».

« Est-il vrai » nous dit J.-M. Guyau « qu’il existe un lien naturel ou rationnel entre la moralité du vouloir et une récompense ou une peine appliquée à la sensibilité ? En d’autres termes, le mérite intrinsèque a-t-il le droit de se voir associé à une jouissance, le démérite à une douleur ? Tel est le problème qu’on peut encore poser sous forme d’exemple en demandant : — Existe-t-il aucune espèce de raison (en dehors des considérations sociales) pour que le plus grand criminel reçoive, à cause de son crime, une simple piqûre d’épingle, et l’homme vertueux un prix de sa vertu ? L’agent moral lui-même, en dehors des questions d’utilité ou d’hygiène morale, a-t-il à l’égard de soi le devoir de punir pour punir ou de récompenser pour récompenser ? »

« Nous voudrions montrer combien est moralement condamnable l’idée que la morale et la religion vulgaires se font de la sanction. Au point de vue social la sanction vraiment rationnelle d’une loi ne pourrait être qu’une défense de cette loi, et cette défense, inutile à l’égard de tout acte passé, nous la verrons porter seulement sur l’avenir. Au point de vue moral, sanction semble signifier simplement, d’après l’étymologie même, consécration, sanctification ; or, si, pour ceux qui admettent une loi morale, c’est vraiment le caractère saint et sacré de la loi qui lui donne force de loi, il doit impliquer, selon l’idée que nous nous faisons aujourd’hui, de la sainteté et de la divinité idéale, une sorte de renoncement, de désintéressement suprême ; plus une loi est sacrée, plus elle doit être désarmée, de telle sorte que, dans l’absolu et en dehors des convenances sociales, la véritable sanction semble devoir être la complète impunité de la chose accomplie. Aussi verrons-nous que toute justice distributive a un caractère exclusivement social et ne peut se justifier qu’au point de vue de la société : d’une manière générale ce que nous appelons justice, est une notion tout humaine et relative. » (Guyau, Esquisse d’une Morale sans obligation ni sanction).

Or, si nous pensons avec Guyau que toute « justice distributive a un caractère exclusivement social et qu’en dehors des considérations sociales » il n’y a aucune raison, aucun devoir, de punir pour punir, nous sommes obligés de reconnaître que la détention en soi est arbitraire, et qu’elle ne trouve sa consécration que dans une forme de société que nous jugeons injuste et inhumaine.

Malheureusement, la philosophie, la raison, la logique, n’ont rien à voir avec la justice distributive, et les années de prison pleuvent dru sur les pauvres délinquants qui se mettent en marge de la loi.

Quelle est la « vie » du détenu ? Examinons tout d’abord la situation du prévenu, c’est-à-dire de l’individu emprisonné, bien que la loi ne l’ait pas encore reconnu coupable, et qui attend que le magistrat veuille bien décider de son sort. Il est, d’ordinaire, enfermé dans une cellule dont les dimensions varient selon les prisons et n’a le droit d’avoir de relations avec le dehors que par l’intermédiaire des représentants de l’administration pénitentiaire. Toute sa correspondance passe à la censure, de même que toute celle qu’il reçoit, exception faite en ce qui concerne celle de son défenseur. Obligé de se lever matin de très bonne heure, il

a toute la journée pour se livrer à la méditation, toute distraction lui étant interdite. Dix minutes par jour, on le sort de sa cellule, pour le conduire à ce que l’on appelle la promenade et qui n’est en réalité qu’un long couloir d’une quinzaine de mètres, situé dans la cour de la prison, et entouré de murs assez hauts et assez larges pour n’être pas franchissables. Les journaux lui sont interdits et les livres qu’il a le droit d’acheter, sont comme sa correspondance, passés à la censure et interdits s’ils sont considérés comme subversifs par l’administration. La nourriture du prévenu est identique à celle du condamné, elle se compose d’une « soupe » à neuf heures du matin, soupe qui n’est en vérité qu’un bol d’eau chaude recouvert par une couche de graisse ou d’huile et d’une autre à quatre heures du soir, d’une boule de pain noir et sale d’un poids approximatif de 600 grammes et, deux fois par semaine, le jeudi et le’dimanche d’un morceau de viande. Cependant, le prévenu a le droit, s’il a de l’argent, de se nourrir à ses frais, et, dans ce cas, il est honteusement exploité par les mercantis qui spéculent sur la misère humaine.

Voilà, brièvement tracée, la vie de l’homme non encore reconnu coupable par la société et qui, en vertu de la loi même, devrait être considéré comme innocent.

Aussi terrible que puisse être cette existence, elle est cependant supportable à côté de celle du condamné. Selon la peine qu’il a à subir, le détenu est envoyé dans une prison cellulaire, ou dans une centrale. Nous allons voir quel est le régime de la prison cellulaire de Fresnes-les-Rangis, qui est une des plus modernes de notre France républicaine. Le prisonnier doit être levé à sept heures du matin, au coup de cloche, et a environ une demi-heure pour se livrer aux soins de sa toilette et à ceux de sa cellule ; à 7 h. 1/2 son lit doit être plié, sa chambre nettoyée, et il doit être prêt à travailler. Le travail est obligatoire pour le détenu condamné. Il travaille seul dans sa cellule et doit accomplir la tâche qui lui est assignée s’il ne veut pas être puni. On sait en quoi consiste le travail des prisons, On y fabrique généralement des articles bon marché que d’immondes exploiteurs ne trouveraient pas à manufacturer s’ils ne spéculaient pas sur l’incapacité de se défendre dans laquelle se trouve le prisonnier. Si ce dernier n’accomplit pas sa tâche, Il est mis au pain sec et, si cette punition ne produit pas les effets attendus ou espérés, c’est le prétoire ou le cachot.

La nourriture du détenu, nous l’avons dit plus haut, consiste en deux soupes par jour, une boule de pain et deux morceaux de viande par semaine. Il a cependant la faculté d’améliorer son ordinaire, en prélevant une partie du salaire qui lui est alloué. Supposons un prisonnier gagnant 4 francs par jour, ce qui est énorme. L’administration pénitentiaire, si le détenu subit sa première condamnation, en prélève environ la moitié pour couvrir ses frais ; suit les deux francs qui restent, 1 franc est conservé au greffe pour que le détenu ne soit pas démuni d’argent au sortir de prison, et il a droit à dépenser par conséquent un franc pour sa nourriture. Le tabac n’est pas autorisé, et l’unique distraction du prisonnier est la messe le dimanche et un livre par semaine, qu’il ne choisit pas, mais qui est cueilli au hasard dans la bibliothèque pénitentiaire.

Ce que ce livre hebdomadaire représente pour le détenu, est-il besoin de le dire ? Et pourtant la méchanceté humaine ne connait pas de bornes et il se trouve des gardiens assez dénués de tous sentiments pour s’amuser encore de la détresse du détenu. Il nous fut conté que certains gardiens se faisaient un malin plaisir de choisir pour certains de leurs détenus, des livres ne présentant d’intérêt que pour des techni-