Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/556

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
DET
555

traire, de l’inégalité, et de l’autorité, il n’est pas besoin de faire des détours pour réaliser cet idéal.

L’on nous objecte qu’une période transitoire est nécessaire, que l’homme, corrompu par des siècles et des siècles d’hérédité, est incapable de vivre une existence saine, physiquement et moralement, on prétend que maintenu depuis toujours dans l’obscurité, l’Individu ne saurait s’acclimater brutalement à la lumière trop vive de la vérité et du bonheur et qu’il se livrerait à des excès déplorables, néfastes à l’avenir de l’humanité. Qui dit cela ? Sinon ceux qui ont intérêt à emprunter des détours ou des aveugles et des inconscients qui ont eux-mêmes peur de la lumière ?

Le temps perdu ne se rattrape jamais, hélas ! Et trop de temps a déjà été perdu par le peuple. Lorsque l’on a compris les causes d’un mal, il n’est pas bon d’hésiter à le combattre. Loyalement, courageusement, sans détour il faut aller droit au but. S’il est des obstacles, on les franchit ; s’il est des difficultés on les surmonte. L’union fait la force, et la force de tous les opprimés serait colossale, s’ils le voulaient. Qu’ils le veuillent : au terme de la route droite, est la liberté.


DÉTOURNER. (verbe). — Tourner en sens contraire, écarter, éloigner, faire prendre une autre direction.

Détourner la tête, détourner les oreilles. « Il n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, ni plus sourd que celui qui ne veut pas entendre » dit le proverbe, et ils sont en effet nombreux ceux qui détournent la tête et les oreilles lorsqu’on veut leur parler de questions qui les intéressent cependant au plus haut point. C’est avec facilité que les maîtres arrivent à détourner l’attention de leurs esclaves ; il faut si peu de choses pour les distraire et les préoccuper, que ces derniers ne s’aperçoivent même pas qu’un fait divers banal et grossier, autour duquel la grande presse fait un impressionnant tam-tam, n’a d’autre but que de détourner les regards du peuple d’un événement social dont dépend tout son avenir.

Chacun peut avoir une conception particulière du « devoir », mais pour nous, anarchistes, nous pensons qu’abandonner la direction de la chose publique entre les mains de politicaillons rapaces et intéressés, se laisser accaparer par des incidents d’ordre secondaire, et ne pas s’intéresser à tout ce qui est la vie, présente et future de la société, c’est se détourner du droit chemin, c’est manquer à tous ses devoirs.

Et c’est justement parce que le peuple se détourne volontairement de tout ce qui pourrait lui être utile que, par paresse, il accorde sa confiance à ses pires ennemis, qu’on lui soustrait frauduleusement, sous formes d’impôts directs et indirects, des sommes formidables, qui, détournées de l’objet auquel elles étaient destinées, vont enrichir une armée de parasites spéculant sur la naïveté et la bêtise humaines et vivant grassement du produit de leurs forfaits.

« Les grands sujets lui sont défendus ; il se détourne sur de petites choses. » (La Bruyère.) Telle est la figure du peuple, il portera toute son attention sur un Landru quelconque, criminel de bas étage, inventé peut-être de toutes pièces pour les besoins de la cause et accusé à tort ou à raison d’avoir tué une demi-douzaine de femmes, mais ne remarquera pas qu’après avoir sacrifié sur le champ de bataille plusieurs millions d’êtres humains, les potentats et les ploutocrates, autour du tapis vert diplomatique, discutent des meilleurs moyens à employer pour asservir ce qui reste de sain et de productif dans la population du monde.

Il serait temps que le peuple se détournât de toutes ces distractions mesquines qui lui font perdre sa dignité et, qu’il se tournât enfin vers la vérité, source de lumière et de bienfaits. Le peuple peut faire de gran-

des choses ; sa force, sa puissance, son intelligence, son activité, son travail le lui permettent. Il lui manque une chose : la volonté. Qu’il sache l’acquérir, et alors il pourra détourner l’humanité de la route boueuse et sanglante qu’elle a suivie jusqu’à ce jour et la diriger sur le chemin de la liberté.


DÉTRACTION. n. f. (du latin detractio, même sens). Action de détracter, de prélever une portion d’une chose. Il fut un temps ou le souverain avait le droit de prélever sur les successions que les étrangers venaient recueillir en France, une certaine somme. Ce droit s’appelait droit de détraction. En réalité cela n’a pas changé et de nos jours ce ne sont pas seulement les étrangers qui subissent ce « droit » mais les français également. Seulement il s’appelle « droit de succession » et c’est l’État qui le prélève.

Dans le langage courant, le mot distraction est plus couramment employé comme synonyme de médisance, De même qu’en jurisprudence, il signifie prélever ou retrancher une portion, en langage courant la « détraction » est l’action que commet celui qui s’efforce de rabaisser le mérite ou les qualités de son semblable.

« Ne t’abaisse pas pour entendre ces bourdonnements détracteurs » a dit Lamartine, et en effet il faut fuir ceux qui se livrent à la détraction : ce sont d’ordinaire des gens sans qualités, sans mérites et sans avantages personnels qui espèrent briller en abaissant et en amoindrissant ceux qui les touchent.

Éloignons-nous donc des détracteurs et disons avec Montaigne : « La peine qu’on prend pour détracter les hommes vertueux, je la prendrais volontiers pour leur donner un coup d’épaule pour les hausser. »


DÉTROUSSEUR. n. et adj. Celui qui détrousse, qui vole les passants sur la voie publique en usant de violence.

Il convient d’expliquer l’origine de ce mot. Il fut un temps où les anciens afin que leur robe ne traînât pas la tenait troussée à l’aide d’une ceinture, dans laquelle ils portaient également leur argent. Or, pour les voler on emportait cette ceinture et la robe se trouvait détroussée, c’est-à-dire pendante, traînante. On a donc donné le nom de détrousseur à celui qui se livrait à ce genre d’opérations.

De nos jours, la ceinture a disparu mais hélas, le détrousseur lui a survécu ; toutefois il n’opère pas de la même façon. Ce n’est pas qu’il manque de chenapans, d’êtres vils et mauvais, qui n’hésitent pas à vous attaquer au coin d’une rue pour vous dépouiller de votre maigre avoir ; mais ces détrousseurs-là, aussi nuisibles soient-ils, sont de bien faible envergure si on les compare aux détrousseurs de grande école qui, par l’escroquerie autorisée légalement, vous affament et vous réduisent à la misère. Ces détrousseurs, que l’on peut qualifier de bourgeois, mettent une certaine forme pour vous voler ; ils emploient des formules alléchantes, savent intéresser leurs futures victimes, et ils seraient vraiment bien mal inspirés en coupant la ceinture, puisque les portefeuilles s’ouvrent d’eux-mêmes, et que les poches se vident pour aller remplir leurs coffres-forts.

Laissons à la bourgeoisie ce qui lui appartient. C’est son rôle de détrousser le peuple puisque ce dernier veut bien se laisser faire. Lorsqu’il aura suffisamment été détroussé, peut-être refusera-t-il de se prêter aux entreprises du capital, mais ce qui est hélas regrettable c’est qu’il arrive souvent que le peuple se rende complice des méfaits de ses maîtres et fasse aussi œuvre de détrousseur.

Lorsque toute licence lui est accordée, et plus particulièrement lorsqu’il a revêtu l’uniforme militaire, l’homme s’avilit, se dégrade et il semblerait que l’em-