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naires en certaines nations nous laisseraient redouter un nouveau Moyen-âge, s’il n’y avait pas des courants de pensée vifs et riches dans les pays libres, et s’il n’y avait pas beaucoup d’hommes qui ne cessent de lutter contre la tyrannie. Mais s’il est naturel d’espérer en demain, certains que le patrimoine de la pensée ne peut subir les catastrophes des systèmes politiques, nous ne devons pas ignorer combien il est nécessaire d’intensifier la lutte contre le dogmatisme. Le bolchevisme en Russie, la tyrannie jésuitique fasciste en Italie, la dictature clérico-militaire en Espagne sont la preuve que la civilisation ne va pas du même pas que le progrès. Le dogme est là, protéiforme et tenace. Il est là, mais il est en nous aussi. — C. B.

Bibliographie. — Le Moy. — Dogme et critique, 1903. Ch. Guignebert. — L’évolution des dogmes, 1910. Laberthonnier. — Le dogmatisme moral et « Essais de philosophie religieuse, 1903 ».

DOGME. n. m. (du grec doghma, formé de dokéo, je pense). Le dogme, en théologie, en philosophie comme en sociologie, est le principe accepté par les individus ou à eux imposé par une église ou une école qui présente ledit principe comme une vérité incontestable et indiscutable. Le dogme est la base fondamentale de toute religion spirituelle, matérielle ou sociale et ce serait une faute grave de penser que seules doivent être considérées comme des dogmes les théories qui puisent leur source dans la révélation divine. Il existe un nombre incalculable d’individus qui se croient sincèrement débarrassés de tous préjugés et qui affirment ne se courber devant aucun dogme et qui, cependant, sont les esclaves d’idées rétrogrades qu’ils se refusent à soumettre à l’analyse et qu’ils soutiennent comme des vérités intangibles et immuables.

Le dogme est, à nos yeux, la barrière qui se dresse devant le regard de l’homme, l’arrête et l’empêche de plonger dans l’obscurité du passé. A l’époque où l’intelligence était encore primitive et où la science n’avait pas arraché à la nature ses nombreux secrets, l’homme fut naturellement entraîné à attribuer à une force et une puissance surhumaines les phénomènes heureux ou malheureux qui le frappaient. La vie elle-même était pour l’individu une énigme et l’esprit humain ne pouvant concevoir l’infini, l’homme se donna, à lui et à tous les objets qui l’entouraient, une cause initiale, déterminante, un commencement, un Dieu créateur duquel émane tout l’Univers et qui dirigea, dirige et dirigera éternellement, selon sa volonté, les destinées du monde.

C’est sur ce dogme, sur ce principe métaphysique, ténébreux, que se sont élaborées, jusqu’au xviiie siècle, presque toutes les philosophies.

Cela ne nous surprend aucunement car, même de nos jours, « si loin que portent, dit Sébastien Faure, les prodigieux appareils par lesquels l’optique prolonge le champ d’observation de l’homme de science, la puissance de ces appareils a une limite au-delà de laquelle la constatation fait nécessairement place à la supposition ou au calcul ».

Or, le passé peut être considéré comme un astre éloigné, le plus éloigné de la terre et, forcément, il arrive un moment où la.pensée est obligée de s’arrêter rencontrant devant elle un nuage épais et obscur. Est-ce à dire qu’il n’y a rien derrière ce nuage, que la passé s’arrête là et qu’il n’est pas éternel comme l’avenir ?

L’explication des déistes nous paraît simpliste et ne satisfait pas notre soif de savoir. Rien pour nous ne représente que « rien » et nous ne pouvons pas admettre que ce « rien » est l’ « Être éternel, infini et puissant » qui a fait toutes choses de « rien », c’est-à-dire de Lui.

Si l’on accepte comme base, comme dogme, l’hypothèse

« Dieu », alors rien de surprenant à ce que l’on accepte avec autant de facilité tous les autres dogmes qui en dérivent. Et c’est là que se manifeste le danger de la religion et de ses dogmes.

« Le Dieu spéculatif des métaphysiciens vit — s’il existe — dans des régions séparées par d’incommensurables distances de celles où se meut la fourmilière humaine. Se suffisant à lui-même, il dédaigne de s’occuper de ce qui se passe sur notre globe terraqué ; il se désintéresse des microscopiques passions qui nous agitent ; il ne se mêle, ni directement, ni indirectement aux rapports établis entre nous ; il ne s’inquiète ni de nos bonnes, ni de nos mauvaises actions. Les abstracteurs de quintessence, les extracteurs de racines cubiques de la Pensée pure, veulent qu’Il soit ; ils se targuent de démontrer péremptoirement qu’Il doit être, qu’il est impossible qu’Il ne soit pas. « Il est, affirment-ils, Il existe, parce qu’Il n’est pas possible qu’Il n’existe pas ». Un point c’est tout.

Il est évident que, présenté de cette façon, le dogme « Dieu » ne nous gêne nullement et nous nous garderons bien de contester, à qui que ce soit, d’avoir une croyance semblable, aussi ridicule nous semble-t-elle.

Mais « Dieu » traîne à sa suite un tas d’autres dogmes et, en premier lieu, celui de l’immortalité de l’âme qui fut enseigné par la presque unanimité des métaphysiciens ; et ce dogme, adroitement exploité par les théologiens, fut peut-être le facteur le plus précieux d’asservissement et de domination sociale. Si, à tous les âges de l’humanité, l’Eglise s’est emparée de ce principe, c’est qu’elle a compris tout l’avantage qu’elle pouvait en tirer au profit du riche et du puissant. Il n’est pas une religion qui n’ait pas, à sa base, l’immortalité de l’âme, de cette âme qui, une fois séparée du corps, quittera la vallée de misères et de souffrances pour atteindre l’idéal, dans la profondeur éthérée des cieux. Les Juifs ont leur « terre promise » comme les chrétiens ont leur paradis et ces Édens ne sont accessibles qu’à ceux qui, durant leur vie terrestre, auront respecté les lois préalablement établies par la bonté, la justice et la sagesse de Dieu.

Quels profits, quels avantages énormes ont su tirer de ce dogme les princes de l’Église qui amenèrent habilement les peuples à renoncer aux joies terrestres en leur promettant un paradis céleste ! « Heureux les pauvres d’esprit, le royaume des cieux leur appartient ! », cependant que les grands ne se contentent pas des promesses, jouissent et vivent heureux sur notre boule ronde, spéculant sur la naïveté, la bêtise et l’ignorance des faibles.

Comme l’on comprend bien les raisons pour lesquelles les théologiens se refusent à discuter les dogmes et interdisent aux fidèles de les approfondir. C’est que, à l’analyse, tout s’ébranle, et l’on aperçoit, à la faveur de la critique, l’erreur et le mensonge sur lesquels ils reposent. Quelles que soient, pourtant, les murailles dont on les entoure, les dogmes spirituels, révélés, deviennent de moins en moins dangereux, tendent à disparaître et tout le formidable édifice qu’ils ont construit s’écroulera demain.

C’est que la vie moderne ne s’accorde plus avec le dogme du Dieu tout-puissant et infaillible. Un vent d’athéisme a passé sur les hommes et les exigences de la religion ont éloigné d’elle la plupart des individus. Certes, la croyance en une divinité n’est pas totalement éteinte ; on continue à se livrer, plus par coutume, par cupidité et par besoin, que par foi sincère, à certaines manifestations extérieures, à condition cependant que celles-ci n’entravent pas la marche courante de la vie quotidienne. Quel est celui qui sera assez fou, surtout dans nos contrées occidentales, pour sacrifier une parcelle, aussi minime soit-elle, de son bien-être terrestre, afin d’atteindre aux félicités céles-