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a toujours tort et on ne parvient jamais à se faire comprendre) ou en leur appliquant leurs méthodes, l’anonyme continue. L’anonyme a la mentalité de l’homme d’affaires. Il est sans scrupules et n’a aucun sentiment. — Pouvons-nous cependant combattre l’anonymat ? Par beaucoup de vigilance et une attention de chaque instant. Il convient de se tenir sur la défensive. Si on ne parvient pas à supprimer l’anonymat, on peut du moins en atténuer les effets. Dans certains cas, on devra répondre ; dans d’autres, le silence sera de rigueur. Il n’est pas possible d’adopter une ligne de conduite uniforme dans toutes les circonstances ; bien qu’il s’agisse ici d’une attitude caractéristique, et que les procédés de la mauvaise foi soient toujours les mêmes, il y a des méthodes qui réussissent mieux avec certains « pleutres » qu’avec d’autres (quand on connaît l’individu, on sait par quel bout le prendre, mais quand on ignore le nom du « vil délateur », du « lâche calomniateur », il convient d’agir avec précaution). On peut traiter l’anonyme par le mépris ou l’indifférence (non qu’il en éprouve du dépit, car l’anonyme ne ressent rien et n’a pas d’amour-propre, mais il s’imagine que les coups, ne vous ayant pas atteint, il est inutile pour lui d’insister), — ou par une bonne correction, dans les cas désespérés : c’est souvent la meilleure solution. Elle agit plus efficacement que les ménagements et la patience. L’argument du bâton a du bon. On ne recommence pas. Quoiqu’au fond on laisse l’anonyme pour ce qu’il vaut, on n’en est pas moins souvent « gêné » et contrarié par ses procédés. On peut dire de l’anonymat ce que l’on dit de la calomnie : il en reste toujours quelque chose. L’anonyme sait bien que ses efforts auront toujours un résultat, mince ou important, mais enfin un résultat ! — Lettre anonyme. — Moyen à la portée des imbéciles pour se venger de ceux qui leur ont rendu service ou dont la tête leur déplaît. Les auteurs de ces missives ridicules procèdent comme de vulgaires journalistes en ne signant pas ou en signant d’un nom d’emprunt (Dupont ou Durand) leurs élucubrations. La lettre anonyme « fleurit » beaucoup en temps de guerre : elle est d’un usage courant chez les embuscomanes, espionomanes, jusqu’auboutistes et sur-stratèges, professeurs de haine et de bêtise qui ne savent à quoi employer leurs loisirs. L’administration ajoute foi aux rancunes d’anciens larbins congédiés et aux petites vengeances de littérateurs sans talent. Elle se fait complice de commérages abjects. L’homme intelligent jette au panier la lettre anonyme et fait justice de « racontars » plus ou moins intéressés (voir aussi calomnie, dénonciation, laideur, mensonge, etc.).

Gérard de Lacaze-Duthiers.


ANTAGONISME n. m. (de anti et du grec agônistès, combattant). Rivalité ; opposition ; résistance que s’opposent deux forces contraires, deux puissances inconciliables, deux principes contradictoires. Lutte, compétition : Antagonisme des idées, des esprits, des doctrines, des Partis, des intérêts. On pourrait presque dire que tout est antagonisme dans les sociétés capitalistes contemporaines : car, que l’observation vise l’ensemble ou le détail, elle constate partout la rivalité, la concurrence, la lutte.

S’agit-il de l’État ? Tous les partis politiques aspirent à s’en emparer et, pour atteindre ce résultat, les uns et les autres ne se laissent rebuter par aucun scrupule, par aucune considération, par aucune manœuvre. La raison d’être d’un parti politique, c’est de mettre la main sur le Gouvernement et d’installer les siens au Pouvoir. Les batailles électorales, les débats parlementaires, les campagnes de presse, les agitations fomentées par les partis politiques n’ont pas d’autre but. Sous la forme courtoise ou violente des grandes discus-

sions au sein des Assemblées nationales, départementales ou communales, un combat acharné met aux prises des groupements et des hommes que propulsent les rivalités d’intérêt et d’ambition qu’on se garde bien d’avouer, mais sur lesquelles ne se méprend aucun de ceux qui prennent part aux débats. Les grands mots d’intérêt général, de bien public, d’ordre, de justice, de bienfaisance, de droit, de solidarité ne sont prodigués que pour masquer les vanités et les intérêts antagoniques.

La finance, l’industrie et le commerce sont le champ clos de tous les antagonismes. Sous les espèces et apparences de la concurrence (que volontiers on dit être « l’âme du Commerce » et dont on ferait tout aussi bien de dire qu’elle est l’âme de l’Industrie et de la Banque), le monde des affaires se livre à des luttes homériques et sans arrêt. Bourse des valeurs et bourse des marchandises sont, chaque jour, le théâtre des rivalités qui s’affrontent et des intérêts qui se heurtent. Ce qui enrichit les uns appauvrit les autres et toute opération aboutit à une balance dont les plateaux oscillent sans cesse, mais dont les fluctuations ont pour résultat de favoriser ceux-ci au détriment de ceux-là.

Cette concurrence n’épargne pas le monde des salariés ; elle y revêt, toutefois, un autre caractère. Entre travailleurs, les antagonismes éclatent à l’usine, au magasin, à la manufacture, à la mine, au chantier, au bureau. Là, c’est la lutte pour les postes les plus avantageux, l’avancement le plus rapide, les places les mieux rétribuées et le travail le moins pénible.

Ce sont ces mêmes antagonismes (opposition d’intérêt, rivalités de préséance, compétitions diplomatiques, militaires, coloniales ou métropolitaines) qui déterminent les conflits armés. Les guerres qui précipitent, à l’heure présente, les uns contre les autres, les peuples qui semblaient parfois les mieux prédisposés et faits pour vivre en paix, ont pour cause profonde, les antagonismes (rivalités, concurrences et oppositions d’intérêts) fatalisés par l’agencement politique et économique des sociétés capitalistes, agencement qui de chaque nation fait une nation de proie dont l’insatiable cupidité s’abrite sous le pavillon du Patriotisme et de l’Honneur National. Le Droit, la Civilisation, le Progrès, la Justice, la Liberté ! Autant de mensonges proférés officiellement et bien haut, pour dissimuler l’odieuse réalité, toute de rapacité et de conquête.

On peut regarder partout : au cœur de chaque pays et au-dessus de toutes les frontières, on ne trouvera pas un coin, pas un seul, où ne sévissent les antagonismes qui, de façon constante ou périodique, opposent les uns aux autres, les individus et les peuples.

Mais c’est surtout de classe à classe et de catégorie à catégorie que s’affirment les oppositions d’intérêts. Le salariant a intérêt à payer la main-d’œuvre le moins cher possible et le salarié a intérêt à vendre son travail le plus cher qu’il peut ; le commerçant cherche à écouler sa marchandise au plus haut prix et le consommateur cherche à payer celle-ci au plus bas prix ; le propriétaire veut augmenter sans cesse le loyer de ses locataires et ceux-ci résistent, autout qu’ils le peuvent, à cette augmentation. Les employeurs se groupent ; les commerçants se liguent, les propriétaires se syndiquent de leur côté, les salariés se syndiquent, les consommateurs se liguent et les locataires se groupent. Ces coalitions, cimentées, ici et là, par des intérêts communs, n’ont pour objet et pour résultat que de modifier l’aspect des antagonismes qui s’opposent ; mais ces antagonismes persistent. Au lieu de provoquer des conflits individuels, ils suscitent des conflits collectifs ; les oppositions n’en sont que plus graves et la lutte n’en est que plus âpre.