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cas en temps opportun. C’est donc avec une énergie nouvelle, décuplée, et avec un espoir ou, plutôt, avec une assurance ferme, que les anarchistes doivent intensifier dès à présent le développement et la propagande de la conception antiétatiste. Nous considérons ceci comme l’une des tâches principales et immédiates de l’anarchisme militant. — Voline.


ANTIMILITARISME n. m. Comme le mot l’indique, l’Antimilitarisme a pour objet de disqualifier le militarisme, d’en dénoncer les redoutables et douloureuses conséquences, de combattre l’esprit belliciste et de caserne, de flétrir et de déshonorer la guerre, d’abolir le régime des Armées. (Voir les mots : Militarisme, Armée, Caserne, Guerre, Drapeau, Patrie, Défense nationale, Insoumission, Biribi, Désertion, etc…)


ANTINOMIE (Étym. : gr. anti, et nomos, lois). — Impossibilité d’accorder le pour et le contre, le oui et le non. Opposition de deux sentiments, de deux phénomènes inconciliables. Ainsi, l’individu ne fera pas bon ménage avec l’autorité, le génie ne supportera pas la médiocrité (et la médiocrité supportera encore moins le génie), la beauté et la laideur ne s’accorderont jamais. Il est impossible d’aimer à la fois le néant et la vie. Il faut être pour ou contre. Pas d’attitude équivoque, pas de compromis. La rupture est inévitable entre le passé et l’avenir, et il n’y a aucun rapprochement possible entre les intelligents et les brutes. Par contre, l’harmonie peut et doit exister entre la pensée et l’action, le sentiment et la logique. L’art réunit et concilie ce que la médiocrité sépare. D’autre part, dans le domaine peu sûr de la politique, telles choses qui semblent inconciliables, semblent se concilier. Les renégats (voyez ce mot) tendent la main à leurs pires adversaires, quand ils escomptent en tirer quelque chose. Où l’on croyait qu’il y avait opposition, il y avait entente tacite : l’opposition n’existait que pour la forme, que pour donner le change ! C’est un exemple d’antinomie factice. Autre exemple d’antinomie : l’union sacrée. On peut aussi appeler antinomie, l’impuissance de l’administration à résoudre certains problèmes, de la loi à contenter tout le monde, l’incohérence de l’autorité et la lutte que se livrent entre elles les autorités. Antinomie, ces jugements baroques, ahurissants, de nos juges civils et militaires ; antinomie, cette morale immorale, ces prescriptions violées par ceux qui les édictent… Antinomie, cette charité qui prétend atténuer les maux qu’elle aurait dû commencer par chercher à faire disparaître, acceptant et déplorant la guerre tout ensemble ; antinomies, ces articles de pseudo-journalistes affirmant à la fin ce qu’ils nient au début, ou niant à la fin ce qu’ils affirment dès les premiers mots, etc… La société tout entière est une vaste antinomie, un tissu de contradictions et d’incohérences (comme la nature humaine). Certains prétendent résoudre cette antinomie, ménager les uns et les autres, être de l’avis de tout le monde, servir à la fois le mensonge et la vérité, et vivre sur une équivoque !


ANTIPARLEMENTARISME n. m. Établir l’impuissance et la pourriture morale des Assemblées parlementaires ; montrer l’incohérence et l’absurdité du système représentatif ; prouver par des faits courants la malfaisance d’un régime qui, en conférant au Parlement un pouvoir en quelque sorte sans limite pour une durée beaucoup trop longue et qui gère tous les intérêts d’une nation, enlève à la population tous ses droits et la gestion de ses propres affaires ; tel est le but que poursuit l’Antiparlementarisme. (Voir les mots : Abstentionnisme. Parlement. Parlementarisme. Gouvernement. Électoralisme. Politique. Démocratie. Chambre des Députés. Sénat. Constitution. Ministère, etc…)


ANTIPATHIE (préf. anti et gr. pathos, passion). — Dégoût qu’on éprouve à l’approche de certains êtres. Quelque chose qui vous dit : « Éloigne-toi ». — Certaines poignées de mains, certains regards sont antipathiques au premier chef. Nous éprouvons une répulsion justifiée pour les journalistes plus ou moins transigeants, les confrères crasseux et envieux, les camarades égoïstes et arrivistes, les jeunes vieillards. Sont antipathiques les « mufles » (voyez ce mot), les bourgeois (id.), les pédants, les cuistres, les faux-artistes, les renégats, les pontifes, sans oublier les censeurs et les policiers, — tout ce qui représente une régression, une rétrogradation, une réaction, — tout ce qui contrarie « nos » rêves, « notre » idéal, « nos » aspirations, — tous ceux qui ne sont pas « nôtres ».


ANTIPATRIOTISME Parviendrai-je à éviter ici toutes les considérations qui seront mieux en place aux articles Patrie et Patriotisme (voir ces deux mots) ?…

L’antipatriotisme fut la réaction de la raison et du sentiment dès que sévit le patriotisme. Il prit des formes diverses selon qu’il s’appuyait plus ou moins consciemment sur l’individualisme, sur l’amour pour tous les hommes, sur l’amour pour un homme (comme chez Camille, la sœur des Horaces) ou même sur une préférence raisonnée ou sentimentale pour les lois et les mœurs d’un pays étranger.

Le Bouddha fut nécessairement hostile à tout exclusivisme patriotique, lui qui n’admet pas même ce qu’on pourrait nommer le chauvinisme humain, mais étend sur tous les vivants son amoureuse miséricorde. En Grèce, les sophistes sont antipatriotes. Socrate, le plus grand d’entre eux, proclame : « Je ne suis pas athénien, je suis citoyen du monde. » Il condamne la patrie au nom des « lois non écrites », c’est-à-dire au nom de la conscience. D’autres sophistes la rejettent au nom d’un individualisme plus intéressé. Cependant, leur contemporain Aristophane méprise sa démocratique patrie parce qu’il admire l’organisation aristocratique de Lacédémone. (Ainsi M. Paul Bourget et M. Léon Daudet, éblouis par la puissance précise de l’État-Major allemand, eurent leurs années de naïf antipatriotisme français : gigolettes qui se donnent presque inévitablement à la plus redoutable « terreur » ). Platon et Xénophon, mauvais disciples de Socrate et qui le faussent et l’utilisent à peu près comme M. Charles Maurras fausse et utilise Auguste Comte éprouvent des sentiments voisins de ceux d’Aristophane. Xénophon finit par combattre sa patrie dans les rangs des Lacédémoniens.

Les philosophes cyrénaïques sont antipatriotes. L’un d’eux, Théodore l’athée répète le mot de beaucoup de sages : « Le monde est ma patrie. » Il ajoute : « Se sacrifier à la Patrie, c’est renoncer à la sagesse pour sauver les fous. » En quoi il se trompe : c’est aider les fous à se perdre.

Les cyniques professent hardiment l’antipatriotisme. Antisthène se moque de ceux qui sont fiers d’être autochtones, gloire qu’ils partagent, fait-il remarquer, avec un certain nombre d’admirables limaces et de merveilleuses sauterelles. Diogène, pour railler l’activité émue des patriotes, roule son tonneau à travers une ville assiégée. Son disciple, le thébain Cratès déclare : « Je suis citoyen, non de Thèbes, mais de Diogène. »

Plutarque reproche aux épicuriens et aux stoïciens le dédaigneux antipatriotisme pratique qui les écarte de tous les emplois publics. L’épicurien n’admet que les sentiments d’élection et réserve son cœur à quelques amis qui peuvent être de n’importe quel pays. Le stoïcien étend son amour à tous les hommes. Il obéit à « la nature qui fait l’homme ami de l’homme, non par intérêt, mais de cœur. » Quatre siècles avant le christianisme, il invente la charité (voir ce mot) qui unit