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en une seule famille tous les participants à la raison, hommes et dieux.

Les premiers Chrétiens sont aussi antipatriotes que les stoïciens, les épicuriens et tous les autres sages. Ceux de Judée ne s’émeuvent point de la ruine de Jérusalem. Ceux de Rome prédisent obstinément la chute de Rome. Ils n’aiment que la patrie céleste et Tertullien dit encore en leur nom : « La chose qui nous est la plus étrangère, c’est la chose publique. » Ils sont fidèles à l’esprit de l’Évangile où certaine parabole du Bon Samaritain serait traduite par un Français vraiment chrétien en Parabole du Bon Prussien ; mais un Allemand évangélique en ferait la Parabole du Bon Français. Et « bon » n’aurait pas le même sens que chez Hindenburg ou chez l’académique Joffre.

Catholicité signifie Universalité. Le catholicisme est une internationale et, par conséquent, s’il est conscient et sincère, un antipatriotisme. Une internationale plus récente prétend remplacer la guerre par la révolution et les hostilités entre nations par la lute de classes ; les principes du catholicisme ne permettent de distinguer qu’entre fidèles et infidèles. Les catholiques modernes vantent leur patriotisme sans s’apercevoir que c’est nier leur catholicité. Ainsi les membres de la S. F. I. O. ou C. qui consentirent à la « défense nationale » cessèrent, sans le savoir ou le sachant, de se dire sans mensonge socialistes. Le sens catholique vit encore chez quelques hommes : chez Gustave Dupin, auteur de La Guerre Infernale ; chez Grillot de Givry, auteur de Le Christ et la Patrie ; chez le docteur Henri Mariavé, auteur du Philosophie Suprême. Aussi sont-ils en abomination à leurs prétendus frères.

La vérité antipatriotique n’a été exprimée par personne avec plus de force équilibrée et de conscience nette que par Tolstoï. Sa brochure Le Patriotisme et le Gouvernement montre combien « le patriotisme est une idée arriérée, inopportune et nuisible… Le patriotisme comme sentiment est un sentiment mauvais et nuisible ; comme doctrine est une doctrine insensée, puisqu’il est clair que, si chaque peuple et chaque État se tiennent pour le meilleur des peuples et des États, ils se trouveront tous dans une erreur grossière et nuisible. » Puis il explique comment « cette idée vieillie, quoiqu’elle soit en contradiction flagrante avec tout l’ordre de choses qui a changé sous d’autres rapports, continue à influencer les hommes et à diriger leurs actes. » Seuls, les Gouvernants, utilisant la sottise facilement hypnotisable des peuples, trouvent « avantageux d’entretenir cette idée qui n’a plus aucun sens et aucune utilité. Ils y réussissent parce qu’ils possèdent presse vendue, université servile, armée brutale, budget corrupteur, « les moyens les plus puissants pour influencer les hommes ».

Sauf quand il s’agit des revendications indigènes aux colonies, ou des sentiments séparatifs de quelques Irlandais, de quelques Bretons ou de quelques Occitans, le mot patriotisme est presque toujours aujourd’hui employé menteusement. Les sacrifices qu’on nous demande « pour la patrie », on nous les fait offrir en réalité à une autre divinité, à la Nation qui a détruit et volé notre patrie, quelle qu’elle soit. Personne n’a plus de patrie dans les grandes et hétérogènes nations modernes. Mais ces considérations seront mieux à leur place à l’article Nationalisme (voir ce mot).

L’amour du pays natal est sot, absurde, ennemi de mon progrès, s’il reste exclusif. Qu’il devienne un moyen d’intelligence et je le louerai comme celui qui se repose à l’ombre de l’arbre loue la graine. De mon amour pour la terre de mon enfance et pour le langage qui premier sourit, si j’ose dire, à nos oreilles, doit sortir l’amour pour les beautés de toute la nature et pour la musique pensive de tous les langages humains. Que la

fierté de ma montagne m’apprenne à admirer les autres sommets ; que la douceur de ma rivière m’enseigne à communier au rêve de toutes les eaux ; le charme de ma forêt, que je sache le retrouver à la grâce balancée de tous les bois ; que l’amour d’une pensée connue ne me détourne jamais d’une pensée nouvelle et d’un enrichissement venu de loin. Comme l’homme dépasse la taille de l’enfant, les premières beautés rencontrées servent à comprendre, à goûter, à conquérir idéalement toutes les beautés. Quelle misère d’entendre, en ses naïfs souvenirs, une langue pauvre et émouvante qui empêche d’écouter les autres langues ! Aimons, dans nos remembrances puériles, l’alphabet qui permet de lire tous les textes offerts par les richesses successives ou simultanées de notre vie. — Han Ryner.


ANTIRELIGIEUX adj. Il ne faut pas confondre ce mot avec le mot anticlérical, car bon nombre d’anticléricaux se défendent, à juste titre, d’être antireligieux. L’antireligieux ne se contente pas de combattre la collusion néfaste du spirituel et du temporel, il ne se borne pas à manger du curé, du pasteur, du rabbin, du pope ou du marabout ; il dénonce et démontre l’influence néfaste de toutes les religions ; il établit le bilan historique de toutes les sectes religieuses ; il ne combat pas seulement les imposteurs qui se flattent de représenter Dieu sur la terre ; il combat et il nie toutes les Divinités, toutes les Providences. Il vide le ciel, il éloigne des consciences la peur idiote des châtiments posthumes et le fallacieux espoir des paradis éternels. Il délivre les esprits de l’absurdité des dogmes, des préjugés ineptes, des remords idiots, des respects ridicules. Il ne s’arrête pas à mi-chemin, comme le fait trop souvent le timide et lâche anticlérical ; il va jusqu’au bout de ses négations fondamentales. Il prolonge ses démonstrations dans le domaine social et prouve que de la mort de tous les Dieux — célestes et terrestres — sortira la vie de tous les hommes. La maxime des antireligieux sincères et complets est : « Ni Dieu, ni Maîtres ! » ( Voir Athéisme, Matérialisme, Enfer, Paradis, Providence, Religion, Dogmes, Dieu, etc…)


ANTISÉMITISME n. m. Ce terme composé de deux mots : préfixe anti, du grec anti (contre), et sémitisme (voir le mot), désigne une tendance, une idéologie, une doctrine ou un mouvement dirigés particulièrement contre l’un des peuples de la race sémitique : les Juifs.

Le fait matériel qui a permis à ces sentiments d’animosité de se manifester depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, dans presque tous les pays du monde, est fourni par le sort, unique dans l’histoire humaine, du peuple juif. Tandis que les autres peuples d’origine sémitique (les Phéniciens, les Assyriens, les Chaldéens, les Arabes, etc…), ont disparu, ou bien sont restés dans une région déterminée, ou, enfin, se sont complètement assimilés à telle ou telle nation, la destinée du peuple juif fut tout autre : malgré les malheurs, les calamités, les fléaux de toute sorte subis par lui au cours de son ancienne histoire, le peuple juif, définitivement vaincu et chassé de son pays d’origine, ne disparut pas, ni ne s’effaça devant d’autres nations. Il conserva toute sa vitalité. Il se dispersa à travers le monde, peupla différents pays, s’installa à peu près partout, mais ne s’assimila nulle part complètement : dans sa grande majorité, il garda partout ses mœurs et coutumes, ses liens de solidarité, sa religion, sa langue, les traits les plus caractéristiques de sa race.

La mentalité populaire des temps anciens où l’on regardait tout homme n’appartenant pas au même clan, à la même tribu, à la même religion, à la même communauté nationale ou civique comme un « étranger » méprisable et traitable en paria, servit de base à toute