Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
JAL
1087

jaloux des personnes avec lesquelles on s’est occasionnellement accouplé pour la simple satisfaction d’un besoin physiologique. Le voyageur, obsédé par les senteurs printanières et qui, dans son isolement, n’a d’autre recours que d’entrer au lupanar, n’éprouve point de jalousie à l’égard du client qui lui succédera sur le lit de la prostituée. Il n’a pour cette femme aucune préférence marquée. Il sait que la banalité du service rendu, des centaines et des milliers d’autres femmes pourront le lui procurer, en échange d’un peu d’argent. Cette compagne d’une heure ne représente pour lui rien de rare ni de précieux.

Il n’en est plus de même lorsque, après des années parfois de solitude sentimentale, d’expériences vaines et de contacts décevants, il rencontre enfin : soit la courtisane experte à lui procurer à un degré inconnu l’ivresse des sens, soit l’épouse éminemment apte à réaliser son idéal de bonheur familial, soit encore l’intellectuelle partageant sa conception de l’existence et ses aspirations. Celles-ci, avec des caractères différents, représentent pour lui des possibilités, sinon uniques, du moins tout à fait exceptionnelles, de vivre intensivement sa vie, et il s’oppose farouchement à ce qui serait susceptible de compromettre sa félicité, car il s’agit de joyaux qui ne se remplacent pas avec certitude du jour au lendemain.

En de telles circonstances et tant qu’il ne tourne point à la folie furieuse, ou à la manie de la persécution, le désir égoïste d’accaparement, identique dans les deux sexes, procède, il faut le reconnaître, d’une certaine logique.

Dans un autre domaine, ils ne s’inspirent pas de préjugés, mais de réalités positives : l’homme qui souffre à l’idée qu’une gouvernante, trop souvent indifférente, pourrait être appelée à remplacer, auprès de ses enfants, leur mère partie en escapade ; la femme qui, ayant trouvé, avec le nid qui lui convient, une appréciable aisance, s’inquiète à l’idée d’en être frustrée. Je n’insisterai pas sur le cas du mari qui, contraint par la loi de prendre à sa charge les enfants de sa femme, appréhende d’endosser l’onéreuse responsabilité de ceux qu’elle pourrait faire avec des amants, ordinairement peu scrupuleux sur le chapitre de la procréation, lorsqu’ils sont assurés de n’en point supporter les frais.

Ce sont là complications d’existence, dues à des soucis économiques, que pourra faire disparaître une organisation sociale plus rationnelle que celle que nous subissons.

Il n’en serait pas moins utopique de supposer que l’instauration d’une société communiste serait capable de supprimer automatiquement, avec le goût de l’exclusivisme en amour, la réapparition de sentiments de jalousie qui sont antérieurs à la société capitaliste, et que l’on constate, d’ailleurs, chez beaucoup de nos frères inférieurs les animaux, en pleine nature.

Ce n’est pas chez eux qu’il y a lieu de puiser les meilleurs exemples, mais bien dans le type d’une humanité dégagée, par l’éducation, de ses brutalités ancestrales. Cependant il est indispensable qu’à l’éducation actuelle, qui légitime la jalousie, et lui fournit des excuses et des armes, au nom de principes moraux abominables, soit substituée, dès à présent, une éducation plus haute, basée sur le respect de la personne humaine et la libre disposition de soi.

Il n’est ni ridicule ni odieux de souffrir par l’abandon, ou la crainte de l’abandon, d’êtres aimés qui ont pris dans notre existence une importante place. Mais il est ridicule de ne savoir point se dominer, et de se livrer pour cela à des extravagances de mélodrame. Il devient odieux, et il est d’ailleurs maladroit, d’user de la contrainte. Il est stupidement criminel de recourir à l’assassinat — Jean Marestan.

JALOUSIE SEXUELLE. S’occuper du problème social au point de vue anarchiste et négliger les ravages et la répercussion de ce terrible fléau qu’est la jalousie, dans l’humanité, me paraît un illogisme.

Voici plusieurs raisons à l’appui de ce point de vue :

1° La jalousie cause, en France, bon an mal an, mille à douze cents victimes. Ce chiffre ne concerne, bien entendu, que les drames et les ravages de la jalousie connus publiquement. Si la proportion est la même hors de France, c’est quarante à cinquante mille victimes que cet aspect de la folie immolerait annuellement ; 2° Il y a à considérer les moyens auxquels ont recours les jaloux pour assouvir leur fureur. On assassine par jalousie sexuelle en se servant de ciseaux, poignards, tiers-points, stylets, couteaux de diverses sortes, marteaux, haches, hachettes, hachoirs, coupoirs, tranchets, rasoirs, flèches, navajas, bow knives, machetes, sabres, revolvers, fusils, etc. Pour tuer et se tuer, les jaloux ont recours au suicide, à l’empoisonnement, à la défenestration, à la pendaison, à l’immersion, à la strangulation, etc. Ils emmurent, calcinent, coupent en morceaux, crucifient. La crevaison des yeux, l’arrachage du nez, des oreilles, l’ablation des parties sexuelles, des mamelles, d’autres mutilations encore figurent dans le catalogue des supplices infligés aux êtres que les jaloux prétendent aimer d’un amour sans rival. (Il n’est question ici de l’antiquité ni du Moyen-Age. Ces détails ont été relevés sur divers journaux quotidiens de pays différents, pour la période 1927-1928. Le vitriol, dont on s’est tant servi jusqu’à l’apparition du browning, est passé de mode). Je ne parle pas ici des dénonciations à la justice, les maisons centrales sont pleines de pauvres hères livrés par des jaloux de l’un et l’autre sexe. (Si quelqu’un m’accusait d’exagérer quant à la variété des moyens mis en œuvre pour se venger, je le renverrais à une étude approfondie de la rubrique des drames passionnels, dans les gazettes de France et de l’extérieur) ; 3° Les gestes d’empiètement ou les crimes auxquels la jalousie conduit nécessitant l’intervention de la loi et le jeu des sanctions pénales, ces actes renforcent les institutions autoritaires et resserrent les mailles du contrat social imposé.

De ce qui précède, on peut déduire, sans possibilité de contestation, que le jaloux est un type humain en voie de régression.

Le malheur est que ce spécimen retardataire se rencontre encore dans les milieux « d’avant-garde » ou « extrémistes ». Même chez les anarchistes, la jalousie cause des meurtres, des suicides, des mouchardages, des rixes et des brouilles entre camarades.

Il importe donc, selon moi, d’analyser la jalousie, de nous demander quel est son remède ; celui-ci connu, de combattre la maladie.

On m’a objecté que « la jalousie, ça ne se commandait pas ». Piètre objection ! Si nous acceptions cette objection cul-de-sac, ce serait à désespérer de tout effort tenté en vue de débarrasser l’humain des préjugés qui embrument son cerveau. Le croyant, le chauvin, disent, eux aussi, que la foi, l’amour de la patrie ne se commandent pas. Le capitaliste affirme aussi que le désir d’accumuler encore et encore ne se commande pas. La jalousie est diagnosticable, analysable comme n’importe quel autre sentiment autoritaire ou passion maladive.

Dans un roman utopique de M. Georges Delbruck : Au Pays de l’Harmonie, l’un des personnages, une femme, définit la jalousie en des termes lapidaires : « Pour l’homme, expose-t-elle, le don de la femme implique la possession de ladite femme, le droit de la dominer, de porter atteinte à sa liberté, la monopolisation de son amour, l’interdiction d’en aimer un autre ; l’amour sert de prétexte à l’homme pour légitimer son besoin de dominer ; cette fausse conception de l’amour est tellement ancrée chez les civilisés qu’ils