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semblent formulées par des anarchistes, et comme deux gouttes d’eau aux protestations des éducateurs religieux et des représentants de l’État. Ceux-là et ceux-ci voient dans le couple et le groupement familial une garantie de la perpétuation du système de domination spirituel ou laïque, de là la poésie, les phrases ampoulées, les panégyriques dont s’accompagnent les descriptions de l’amour conjugal, de la famille, cellule du milieu social. D’ailleurs, si l’on persécute les partisans des conceptions sexuelles qui vont à l’encontre des intérêts des dirigeants, je ne sache pas qu’il existe une seule loi — du code de Hammourabi aux codes soviétiques — qui décrète une pénalité contre l’exaltation de l’amour romantique ou de l’indissolubilité du lien conjugal. Les dominateurs savent bien ce qu’ils font.

Je pense donc que les communistes anarchistes en viendront à considérer l’abondance — le communisme sexuel volontaire — comme le remède à tous les maux de l’amour. Ce n’est d’ailleurs que récemment, surtout depuis la guerre mondiale 1914-1918, qu’une régression à ce sujet est notable chez les communistes anarchistes,

Mais une autre question se pose :

Le remède à la jalousie, à l’exclusivisme sentimental ou à l’appropriation sexuelle, le remède que je résumerai en cette formule, empruntée à Platon : Tous à toutes, toutes à tous, — ce remède peut-il se concilier avec les principes de l’individualisme anarchiste, convenir à des individualistes ?

Ma réponse est qu’il convient aux individualistes qui sont prêts, pour reprendre une expression de Stirner, à perdre de leur liberté pour que s’affirme leur individualité. Que cherchent en s’associant, dans le domaine sentimentalo-sexuel, un nombre quelconque d’individualistes : est-ce à accroître, maintenir ou réduire toujours plus la souffrance ? Si c’est ce dernier but qu’ils visent, si c’est dans la disparition de la souffrance que s’affirme leur individualité d’associés ; parmi eux, dans la sphère qui nous occupe, l’amour perdra de plus en plus son caractère passionnel pour devenir une simple manifestation de camaraderie ; le monopole, l’arbitraire, le refus disparaîtront graduellement, deviendront toujours plus rares. Ils se rallieront à la formule ci-dessus énoncée parce qu’ils y verront la méthode la meilleure pour éliminer de leur milieu la jalousie sexuelle et ses conséquences ; parce qu’ayant à choisir entre divers procédés leur « libre choix » s’est porté sur celui-là.

D’ailleurs, ils n’engagent qu’eux-mêmes. Ils ne sont pas jaloux, c’est le cas ou jamais de ne pas l’être, des systèmes autres « choisis » par d’autres groupes pour éliminer la jalousie de leur sein.

Les partisans de l’abondance comme remède à la jalousie, les réalisateurs d’associations anarchistes a fins sentimentales ou sexuelles, les propagandistes de la camaraderie amoureuse n’ignorent pas à quelles railleries ils sont en butte de la part d’excellents camarades encore inémancipés des préjugés courants en matière de moralité sexuelle, mais ils se souviennent de ce qu’écrivait dans Free Society, au cours d’un article solidement charpenté sur La pluralité en amour, l’anarchiste communiste F.-A. Barnard : « Ceux qui se sentent assez forts, assez enthousiastes pour oser être les pionniers de ce mouvement peuvent prendre courage à la pensée que les antiques conceptions de l’amour s’effondrent, que nous le voulions ou non, à ce point que l’espèce humaine tout entière se débat dans un chaos. Ils peuvent trouver un sujet de se réjouir encore dans la pensée qu’ils vivent conformément à des idées dont la réalisation assurera à l’être humain une existence normale et fertile. » — E. Armand.


JANSÉNISME n. m. Les collégiens et les lycéens qui, dans leurs classes de rhétorique et de philosophie, ont dû lire Les Provinciales, de Pascal, ont une idée de ce que les guerres des ecclésiastiques, sur des pointes d’ai-

guilles, ont de vieillot, de désuet et de ridicule pour notre âge. Ils ont assez entendu parler de jansénisme pour se rendre bien compte de l’importance que l’on attribuait à ce mot au xviie siècle et pour faire désirer étudier plus à fond la vie et l’œuvre du fondateur de cette secte.

L’énorme ouvrage que Sainte-Beuve a tiré du cours sur Port-Royal, professé par lui à l’Académie de Lausanne, fait mieux comprendre l’attachement des maîtres de Pascal — Saint-Cyran, Arnauld, Nicole, etc. — à une idée qui nous paraît à présent si vide de sens pratique. Pourtant, les mots de jansénisme, de Port-Royal, reviennent à chaque instant dans les articles des grandes revues ; c’est pourquoi il n’est pas oiseux de parler de cette secte dans notre Encyclopédie.

Le clergé catholique cherche toujours à induire en erreur les fidèles du sanctuaire. On affirme que le catholicisme n’a pas de sectes et néanmoins elles y foisonnent, mais il faudrait d’abord s’entendre sur la définition du mot secte.

Tous les ordres religieux, — innombrables, — bénédictins dominicains, cordeliers, trappistes, chartreux, jésuites, etc. (pour les hommes), carmélites, ursulines, etc., etc. (pour les femmes), sont de véritables sectes, et diffèrent bien plus entre eux de règle de vie, d’organisation, de costume, que la plupart des sectes protestantes, qui, souvent, ne diffèrent que par le nombre de laïcs et d’ecclésiastiques dans leurs synodes ; d’autres, comme les églises libres des cantons romands de la Suisse, comme les églises libres de France, de Belgique, comme les indépendants et congrégationalistes en Angleterre, ne diffèrent des églises nationales que parce que leurs pasteurs ne sont pas salariés par l’État, mais sont payés par leurs fidèles. D’autres sectes, comme les méthodistes des diverses sortes (wesleyens primitive, new connexion), ne diffèrent par aucun dogme des autres protestants, mais leurs pasteurs ne peuvent pas rester en fonction plus de trois ans dans la même paroisse. Les presbytériens d’Écosse ne diffèrent des protestants réformés de France, de Suisse, de Hongrie, etc., que par le nom.

D’autres sectes protestantes ne sont guère que des sociétés d’abstinence, de végétariens, comme devraient l’être les moines catholiques. Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que les catholiques ne savent pas qu’il y a des sectes romaines, soumises au pape, lesquelles envoient des députés au Conclave, et dont les prêtres se marient, donnent la communion sous les deux espèces — pain et vin — et disent la messe dans la langue du pays au lieu du latin. La plus répandue de ces sectes romaines est l’Église Uniate, nommée quelquefois à tort catholique grecque, car il y a fort peu d’uniates en Grèce et dans les autres pays les prêtres uniates ne se servent pas de la langue grecque. Les uniates sont très nombreux dans la Galicie orientale et septentrionale, en Volhynie, dans la Ruthénie Blanche, en Roumanie, en Bulgarie. L’Église uniate a un patriarche a Lwiv (Lvov, Léopol, ou Lemberg) et un autre a Czernowitz, en Boukovine. Les anarchistes, dans des discussions avec des catholiques, pourront toujours démontrer que l’Église romaine a toujours tenu ses fidèles dans l’ignorance et trompé le peuple en affirmant des faussetés.

À la fin de cet article, nous parlerons de l’Église chrétienne catholique à Genève, de l’Église vieille catholique en Allemagne et en Suisse allemande ; de l’Église catholique nationale en Hollande, des Mariavites en Pologne, toutes formes modernes du Jansénisme.

Jansenius est la forme latine du nom hollandais Jansen ou Janssen. À l’époque où naquit le fondateur du jansénisme, c’était encore l’habitude de latiniser ou d’helléniser son nom comme Ramus (Pierre de la Ramée), Grotius Vésalins (Vésale ou Wessal), Melanchton (Schwarzerde), l’Ecolampade (Hauschein) l’avaient fait.