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MAR
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le déterminisme des événements avait pour effet d’atténuer son ressentiment contre le propagandiste. Quand un orateur lui disait : « Mais je ne suis rien, mon action est nulle, seule l’évolution économique amènera le socialisme », l’ouvrier lui pardonnait presque. Cette humiliation formelle n’empêchait pas bien entendu le propagandiste de profiter des ouvriers, d’en tirer un siège au Parlement et de les trahir plus tard pour passer à la bourgeoisie.

Néanmoins, dans son action mondiale, le marxisme a fait œuvre révolutionnaire. Il a mis la révolte au cœur du prolétariat du monde entier. Et on peut dire même que la prétention du marxisme à être scientifique a servi la cause de la révolution. Sans avoir jamais lu le Capital, les ouvriers ont cru, sur la parole de leurs leaders, que le socialisme n’était pas l’expression d’un désir de justice, mais quelque chose de certain qui devait arriver fatalement comme une éclipse.

Et le premier essai de révolution sociale a été fait en Russie, par des hommes qui avaient passé leur vie à étudier le marxisme. ‒ Doctoresse Pelletier.

MARXISME. N’étant pas royalistes et encore moins fascistes, nous ne saurions être suspects d’avoir le culte des personnalités. Il y a, en effet, longtemps que nous avons fait nôtre le guéris-toi des individus lancé par Anacharsis Clootz, du haut de sa guillotine, comme une objurgation suprême contre toute velléité césarienne et dictatoriale. Du reste, Karl Marx, dont la pensée planait avec la même sérénité sur les sommets du savoir de son temps qu’elle savait descendre dans les profondeurs de notre enfer social, était le moins marxiste des hommes et ce n’est que rendre un juste hommage à la vérité que d’affirmer que Marx a été pour la sociologie ce que Darwin et Lamarck ont été en biologie et Newton, Kepler, Galilée et Copernic en astronomie. Copernic et la pléiade d’astronomes qui l’ont complété ont découvert la véritable position de la Terre dans l’Univers, Darwin surtout a situé l’homme à sa place exacte dans la biologie et Marx a enfin rompu avec tous les mirages trompeurs du déisme et du spiritualisme en assurant la victoire définitive de la conception matérialiste et moniste de l’histoire.

C’est désormais la fin de toutes les légendes héroïques et des miracles. L’histoire humaine cesse d’être inspirée par l’intervention divine et actionnée par des surhommes : princes, guerriers ou prophètes, pour être déterminée par l’évolution économique inhérente à notre planète. La trame de l’histoire, dit Karl Marx, ce sont les luttes de classes qui ont fait évoluer notre espèce de l’anthropophagie à l’esclavage, de l’esclavage au servage et du servage au salariat. Dans le lendemain historique qui se prépare, ces luttes de classes vaincront avec le salariat, dernière forme de l’esclavage, toute hiérarchie sociale en créant ainsi les conditions voulues pour l’avènement de la société communiste dans laquelle la lutte pour la vie cessera d’être la guerre entre les hommes pour revêtir de plus en plus le caractère d’une lutte contre les forces de la nature environnante, afin de les utiliser pour le bien de l’humanité affranchie.

Le processus économique résulte non seulement de l’intervention humaine, mais encore de toutes les forces cosmiques, telluriques, géologiques en action permanente sur notre habitat céleste et dont l’influence est prépondérante. L’apport de l’homme est relativement minuscule. Mais il n’est pas nul et, pour ne pas être le créateur des inéluctables transformations, il peut cependant, en tant qu’accoucheur, hâter leur éclosion. Pour Marx l’avènement de la Société Communiste n’est pas seulement une conviction, mais une certitude, un axiome mathématique.

Les principaux leviers de la Révolution communiste

sont la lutte de classes devenant de plus en plus consciente par les effets de la loi des salaires et de la concentration capitaliste, que hâteront l’expropriation générale, frayant la voie à la société sans classes. La lutte de classes avec la loi d’airain des salaires, rive l’ouvrier à sa chaîne d’esclavage et la concentration capitaliste, oblige les capitaux, ces molécules de la ploutocratie, à se chercher et à s’agglomérer en vertu même des lois mathématiques de la nature selon lesquelles les corps s’attirent en raison de leurs masses et en raison inverse du carré de leurs distances. La lutte de classes est un fait indéniable et ne saurait être niée que par l’ignorance ou l’imposture.

Tous les travaux, les plus impérieusement nécessaires, les plus utiles, les plus indispensables à la vie même, comme, par exemple, le travail des mines, de l’alimentation, de la construction des maisons, de la confection des vêtements, de la locomotion, etc…, etc… se font par des travailleurs qui ne possèdent comme instruments de production que leurs mains et leurs cerveaux, tandis que le sol, les usines, chantiers, ateliers, fabriques, toutes les richesses et tous les instruments de production en fer, en fonte ou en acier sont détenus par des maîtres improductifs et leurs négriers ou surveillants de la production humaine. De là, forcément, antagonisme d’intérêts du travailleur exigeant plus d’aisance avec moins de surmenage, tandis que les détenteurs illicites de la richesse sociale que d’autres mettent en œuvre ont tendance à exiger de leurs travailleurs, c’est-à-dire de leurs esclaves, plus de travail pour moins de salaire.

Le jour, heureusement prochain, où la classe ouvrière dans sa majorité deviendra consciente de cet état honteux et abominable, l’expropriation des expropriateurs aura sonné et tout ce qui fait obstacle à l’émancipation du prolétariat et, par le prolétariat, à l’émancipation de tous les êtres humains sans distinction d’âge, de sexe, de nationalité, de race et de couleur, devra être impitoyablement renversé, balayé, anéanti.

Nous ne préconisons pas le châtiment des dirigeants et des exploiteurs, mais simplement leur suppression, comme moyen de défense de la Révolution, par la force ou à l’amiable, parce que nous avons parfaitement conscience que, pour vivre et durer, l’ordre nouveau que nous voulons instaurer doit bannir de ses mœurs jusqu’à l’idée même de la récompense et du châtiment.

Nous touchons ici au point névralgique, vulnérable de la Révolution sociale.

Presque tous les révolutionnaires du passé et parmi eux les meilleurs, comme Marat et Babeuf, ont préconisé, pour la période transitoire, la dictature révolutionnaire et impersonnelle.

Karl Marx, malheureusement, a également préconisé ce qu’on appelle la dictature révolutionnaire du prolétariat, mais avec moins d’insistance que les Bolcheviks, et son ami et alter-ego Frédéric Engels a même déclaré que la prise du pouvoir par le Prolétariat ne devait durer que le temps qu’il faudrait pour exproprier et socialiser la propriété. Karl Marx, m’a-t-on dit, devait publier un volume abordant et traitant ce sujet. Malheureusement la mort l’en a empêché…

Nous pensons qu’il règne parmi les révolutionnaires, par atavisme et pour ne pas avoir su tirer, lors de la première Internationale, de la thèse socialiste et de l’antithèse anarchiste, une synthèse communiste libertaire, une grande et dangereuse confusion. De tous temps tous les penseurs socialistes ont déclaré sur tous les tons qu’il fallait substituer au gouvernement de l’homme sur l’homme l’administration des choses et finalement on aboutit, après s’être traîné mutuellement dans la boue, à déclarer du côté bolchevik que les socialistes allemands, qui ont toujours travaillé