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lhem Figueira, Guiraut Alquier ; à la Provence, Rambaut d’Orange, Folquet de Marseille, Rambaut de Valqueiras, Bertran d’Alamanon. Dans le Midi, les troubadours reçurent bon accueil surtout en Provence, dans le comté de Toulouse, chez les seigneurs de Foix, de Rodez, de Narbonne, etc…

« Au Nord, les cours où les trouvères jouirent de la protection la plus efficace furent celles de Normandie, de Champagne, de Blois, de Flandre et de Hainaut. La Picardie et l’Artois furent aussi des centres d’intense production poétique ; les poètes trouvaient, dans ces grandes villes commerçantes, un public bourgeois, d’un goût moins raffiné, mais plus large que celui des grands seigneurs. Les bourgeois, eux-mêmes, formés en corporation, tour à tour pieuses et badines, s’adonnaient à la littérature et poussaient fort loin la verve satirique et la maligne observation des caractères. Il y eut, à Arras, toute une école de poésie lyrique, et cette région qui produisit une innombrable quantité de fabliaux dits moraux et satiriques, fut aussi le berceau du théâtre français profane et comique (Jeu de la Feuillée, Robin et Marion, d’Adam de la Halle). Ce sont les provinces, toutes voisines, de la Flandre et du Hainaut qui virent éclore, aux siècles suivants, l’école historique si brillamment représentée par Jean Le Bel, Froissart et les chroniqueurs de la cour de Bourgogne, A partir du XIVe siècle, le rôle des troubadours est fini, puisque la langue nationale a été, au Midi, remplacée par le français dans l’administration et la littérature. Quant aux trouvères, il n’y a pas lieu de prolonger leur histoire au delà du XVe siècle, puisque alors, comme nous l’avons vu, leur condition se transforme et que le nom qui les désignait d’abord fait place à d’autres, correspondant mieux à leur nouvel état social. » (G. Paris, La Littérature française au moyen âge, 2e série.)


Voici maintenant, glané ailleurs que dans le Dictionnaire Larousse, des appréciations documentaires sur le sujet que nous étudions.

M. Nisard remonte au troubadour Guillaume de Lorris l’auteur de la première partie du Roman de la Rose et à Jean de Meung, clerc savant, libre qui en composa la seconde partie. Il écrit alors : « Guillaume de Lorris n’avait rêvé que la conquête d’une rose, symbole de l’amour chaste et chevaleresque des troubadours. Jean de Meung a flétri la rose en la cueillant. »

La langue s’est enrichie du fait que troubadours et trouvères ont travaillé à la rendre expressive.

La langue du Xe siècle nous est surtout connue par une cantilène en l’honneur de Sainte Eulalie, et celle du XIe par les lois que Guillaume le Conquérant donna aux Anglais après avoir soumis leur pays.

La langue d’oïl et la langue d’oc se développèrent avec des alternatives diverses. La langue d’oc, plus sonore, plus harmonieuse, plus poétique, aura son époque de splendeur au moyen âge, avec les troubadours, et son influence se fera largement sentir sur la langue d’oïl. Celle-ci, toutefois, dotée plus certainement des qualités propres à l’esprit français : la clarté, la lucidité, l’ordre, la méthode, finira par l’emporter sur sa rivale, grâce, peut-être, aux circonstances exceptionnelles qui ont favorisé le développement de son caractère. Mais au XIe siècle, la langue d’oc domine en souveraine ; nous en trouvons la preuve dans les manuscrits précieux qui encombrent nos bibliothèques. C’est un curieux et intéressant travail que la comparaison des dialectes encore subsistants de la France méridionale avec la langue que parlaient alors les troubadours et les trouvères ; on y découvre le fonds même de la langue que parlaient tous ces poètes ; les mots abondent qui ont la même orthographe et la même assonance qu’alors. Les copistes ou plutôt certains étymologistes, ont pu, sous prétexte de science, les « enrichir » de lettres inutiles ; le français de nos jours ne s’y reconnaît pas.

Quoi qu’il en soit, il faut bien reconnaître que c’est par la chanson que s’est perfectionnée, simplifiée, clarifiée la façon d’émettre des idées accessibles à tous par les vers chantés des troubadours et des trouvères.

Plus tard, ce sont encore les poètes et les orateurs du grand siècle qui lui donneront l’éclat majestueux du beau langage et les écrivains du XVIIIe siècle lui donneront la clarté, la simplicité.

Pour arriver à constater quelques caractères d’un idiome littéraire, il nous faut attendre qu’il ait pu se dégager, mais bien imparfait encore et grossier des éléments divers qui vont concourir à sa formation ; il nous faut arriver jusqu’à la bifurcation du français en langue d’oc et en langue d’oïl, idiomes qui ont eu leurs plus illustres interprètes dans les troubadours et les trouvères, premiers représentants de l’esprit français au moyen âge. Cet honneur revient surtout aux troubadours, dont les tensons ont précédé de cent ans les sirventes des trouvères. M. Michelet nous paraît avoir été bien sévère pour cette première efflorescence de notre littérature ; à son avis, elle est légère, immorale ; elle est pédantesque et subtile ; ce n’est qu’une fleur éphémère que la lourde main des hommes du Nord aura raison d’écraser. Nous pensons que le poète de l’Oiseau et de l’Insecte, le poète au style pailleté, miroitant, fouillé, forcé, le poète dont un critique très fin, M. Charles Monselet, a pu dire avec quelque raison : son langage est un patois ; nous pensons, disons-nous, que M. Michelet aurait dû apporter plus d’indulgence dans son jugement sur Arnaud de Marteil, Sordel, Bernard de Ventadour, Bertrand de Born, etc. « Pour jouir, dit Schlegel, de ces chants qui ont charmé tant de preux chevaliers, tant de dames célèbres par leur beauté, il faut écouter les troubadours eux-mêmes et s’efforcer d’entendre leur langage. Vous ne voulez pas vous donner cette peine ? Eh ! bien, vous êtes condamné à lire les traductions de l’abbé Millot ». Si nos premiers poètes du Midi avaient besoin d’une réhabilitation, nous opposerions au jugement de M. Michelet deux autorités bien autrement compétentes, quelque respect que nous professions pour la sienne : nous voulons dire Dante et Pétrarque. Dante, l’immortel Florentin, ne le prenait pas de si haut avec cette poésie éclose au soleil de la Provence ; pour le prouver, nous n’aurions qu’à rappeler sa rencontre aux enfers avec Bertrand de Born, et au purgatoire avec Sordel, qu’il compare à un lion reposant, calme en sa force. Citons ici, de ce troubadour, un passage qui légitime bien cette fière imagé :

« Je veux, en ce rapide chant, d’un cœur triste et marri, plaindre le seigneur Blacas, et j’en ai bien raison, car en lui j’ai perdu un seigneur et un bon ami, et les plus nobles vertus sont éteintes avec lui. Le dommage est si grand que je n’ai pas soupçon qu’il se répare jamais, à moins qu’on ne lui tire le cœur et qu’on ne le fasse manger à ces larrons qui vivent sans cœur, et alors ils en auront beaucoup.

Que d’abord l’empereur de Rome mange de ce cœur ; il en a grand besoin s’il veut conquérir par force les Milanais, qui maintenant le tiennent conquis lui-même, et il vit déshérité malgré ses Allemands.

Qu’après lui mange de ce cœur le roi des Français, et il retrouvera la Castille qu’il a perdue par niaiserie : mais s’il pense à sa mère, il n’en mangera pas, car il paraît bien, par sa conduite, qu’il ne fait rien qui lui déplaise.

Je veux que le roi anglais mange aussi beaucoup de ce cœur, et il deviendra vaillant et bon, et il recouvrera la terre que le roi de France lui a ravie parce qu’il le sait faible et lâche. » (Trad. du M. Villemain).

Tous les princes, tous les seigneurs de l’Europe ont ainsi successivement leur part à cette sauvage invitation, à cette sanglante invective, dont aucun poète n’a jamais surpassé le ton vigoureux et la couleur éclatante.