Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
ARC
109

ginalité qui déconcerterait beaucoup nos architectes français actuels. Les plans et les dimensions, les inclinaisons et les carcasses que nous avons pu apprécier à l’Exposition des Arts Décoratifs dépassent en imagination ce que les écoles les plus différentes auraient pu imaginer. Il est impossible de savoir ce que l’avenir déterminera sur les monuments dont il s’agit, mais il ne faut pas oublier que c’est pour avoir observé les règles dont il est causé dans toute cette étude que l’Architecture grecque s’est élevée à un très haut degré de perfection. Ces règles sont cependant subordonnées au génie et au goût particulier de chaque artiste.

Le génie seul peut créer des combinaisons originales, agréables, que le goût épure et qu’il coordonne avec les principes sévères de l’art.

L’architecture est née avec l’homme, car l’homme eut toujours besoin d’abri contre l’inclémence des saisons et les attaques des animaux et l’art est complètement étranger aux constructions primitives.

Les premiers hommes trouvèrent leur gîte dans les cavernes des montagnes ; les pasteurs toujours mobiles créèrent la tente et la cabane. La grotte a été le modèle des constructions souterraines ; c’est elle qui a donné l’idée des constructions cyclopéennes et celtiques et lorsqu’on examine les vestiges des villages mégalythiques qui existent encore dans les montagnes de la chaîne des Monts Dore, en Auvergne, on est frappé de la similitude qui existe entre ces constructions cyclopéennes, ces blocs énormes superposés et la grotte primitive.

La tente a engendré l’architecture des Chinois et des Japonais si remarquable par son extrême légèreté, ses formes capricieuses et ses toits recourbés et terminés en pointe.

La cabane offrait les éléments de l’architecture grecque et romaine.

Chaque peuple a laissé dans ses monuments l’empreinte de son caractère, de ses usages, de ses croyances, de sa civilisation tout en se conformant aux lois de la convenance que lui imposait le climat.

Il y a donc eu autant d’arts de bâtir que de peuples et de civilisations.

Les monuments les plus anciens qui nous sont connus sont les menhirs et les dolmens dont on ignore l’âge, puis les constructions plastiques ou cyclopéennes dont les blocs irréguliers sont cependant appareillés.

Puis l’architecture hébraïque est apparue sans être très connue, attendu qu’elle n’a laissé aucun art, car à l’époque où elle existait, les temples somptueux dont il est parlé dans la Bible, le palais de David, le temple de Salomon étaient exécutés par des artistes étrangers, généralement phéniciens.

Les Hébreux rapportèrent d’Égypte les connaissances architectoniques qu’ils déployèrent das leurs temples.

Ce fut au temps de Périclès que l’architecture grecque fournit ses plus beaux chefs-d’œuvre.

C’est aux Étrusques et aux Toscans dont le style architectural était dérivé de l’ordre dorique qu’on attribue les principaux monuments construits à Rome.

Puis l’architecture religieuse reste fidèle au type de l’art romain dégénéré qui fut l’art roman dont la France possède de si purs joyaux.

Puis les architectes du nord de la France firent subir à l’architecture chrétienne une transformation radicale en faisant disparaître l’aspect massif des murailles. Ce style caractérisé par l’emploi systématique de l’ogive a été improprement désigné sous le nom de gothique, bien que les Goths soient complètement étrangers à sa création.

Puis, au moment où l’architecture ogivale était dans son plein épanouissement, une révolution profonde s’accomplissait en Italie et la passion de l’antiquité

surexcitée au plus haut point gagna les artistes qui, à leur tour, se mirent à étudier les monuments anciens et varièrent à l’infini les détails de l’ornementation. L’Europe presque entière adopta le style de la Renaissance italienne.

Peu à peu les pures traditions de l’antique furent mises dans l’oubli et se produisaient les plus étranges aberrations du goût. À un style créé à une époque de corruption effrénée succéda le style rigide, austère, des néo-classiques que fit éclore la Révolution française. Il enfanta l’architecture contemporaine qui, non contente de copier tous les styles, les continue, les amalgame sans discernement et sans goût.

Victor Hugo écrit ainsi dans « Notre-Dame de Paris » sur la merveille gothique qu’est la cathédrale parisienne :

« Sur la face de notre vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride, on trouve toujours une cicatrice. Tempus edax, homo edacior : le temps est aveugle, l’homme est stupide.

« On peut distinguer dans toutes les sortes d’architecture, des ruines, des plaies, des amputations, des lésions qui sont déterminées par trois caractères : le temps, les révolutions politiques et religieuses, lesquelles, aveugles et colères de leur nature se sont ruées en tumulte sur lui, ont déchiré son riche habillement de sculptures, de ciselures, crevé ses rosaces, brisé ses colliers d’arabesques et de figurines, arraché ses statues, tantôt par leur mitre, tantôt par leur couronne. Enfin, les modes de plus en plus grotesques et sottes qui, depuis les anarchiques et splendides déviations de la Renaissance se sont succédé dans la décadence nécessaire de l’architecture. Ces modes ont fait plus de mal que les Révolutions. Elles ont tranché dans le vif, elles ont attaqué la charpente osseuse de l’art, elles ont coupé, taillé, désorganisé, tué l’édifice dans la forme comme dans le symbole, dans sa logique comme dans sa beauté. Et puis, elles ont refait, prétention que n’avaient eu, du moins, ni le temps, ni les révolutions. Elles ont effrontément ajusté, de par le « bon goût » sur les blessures de l’architecture gothique leurs misérables colifichets d’un jour, leurs rubans de marbre, leurs pompons de métal, véritables lèpres d’oves, de volutes, d’entournements, de draperies, de guirlandes, de franges, de flammes de pierre, de nuages de bronze, d’amours replets, de chérubins bouffis qui commence à dévorer la face de l’art sous l’oratoire de Catherine de Médicis et le fait expirer deux siècles après, tourmenté et grimaçant, dans le boudoir de la Dubarry.

« Ainsi pour résumer ce que nous venons d’indiquer, trois sortes de ravages défigurent aujourd’hui l’architecture gothique. Rides et verrues à l’épiderme, c’est l’œuvre du temps. Voies de fait, brutalités, contusions, fractures, c’est l’œuvre des révolutions depuis Luther jusqu’à Mirabeau. Mutilations, amputations, dislocations de la membrure, restaurations ; c’est le travail grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve et Vignole. Cet art magnifique que les Vandales avaient produit, les académies l’ont tué.

Les plus grands produits de l’architecture sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales ; plutôt l’enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie, le dépôt que laisse une nation, les entassements que font les siècles, le résidu des évaporations successives de la société humaine ; en un mot, des espèces de formations. Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre, ainsi font les castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Les grands édifices, comme les grandes montagnes sont