Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
ARC
118

prenaient pour modèle les édifices byzantins. La chapelle d’Aix est une mauvaise copie de Saint-Vital de Ravenne. Charlemagne fit construire des palais à Aix-la-Chapelle, à Ingelheim. Avec de très mauvais ouvriers, pour décorer et exécuter la chapelle d’Aix, on emprunta de grosses pierres aux murailles de Verdun. Pour décorer le palais et la chapelle, on démolit en partie le palais de Théodoric à Ravenne, on pilla en Italie des colonnes et des chapitaux.

De la décomposition de l’Empire de Charlemagne naquit la féodalité. Les seigneurs se firent construire des châteaux d’où ils pillaient et rançonnaient les paysans ; ils partirent faire les croisades et l’art et l’architecture connurent un grand temps d’arrêt. Luchaire écrit que ce fut « une époque d’isolement et de guerre, l’âge féodal se symbolise exactement dans le château », c’est le début de l’architecture militaire. Les châteaux étaient des maisons fortes (des fertés) ou des plessis (palissades). Un fossé et une palissade, garnie de quelques tours en bois au milieu duquel se dressait un tertre naturel ou artificiel appelé motte, une haute tour, le donjon (dominium, demeure du maître). Les arènes de Nîmes et d’Arles devinrent des villes fortifiées.

Au onzième siècle on commença à construire des murs de pierre et d’énormes tours comme les donjons rectangulaires de Langeais, Loches ou le château de Falaise ou de Tournoël, repaire d’aigle juché au sommet d’une montagne sur un piédestal de roches granitiques.

Au xiie et xiiie siècle, on bâtit des forteresses massives et colossales, dont on voit encore çà et là, en France et en Allemagne, se dresser sur les rocs les ruines imposantes et dont Château Gaillard, près des Andelys, et Coucy paraissent les plus puissantes.

Ces villes étaient des forteresses. À Paris, dans la petite île boueuse de la Cité, une enceinte continue renforcée de tours, garnie de crêneaux, et à partir du xive siècle, de mâchicoulis, entourait la ville proprement dite, laissant sans défense les faubourgs. Quelques vieilles cités ont conservé leurs murailles : Aigues-Mortes, Carcassonne, Avignon. L’enceinte de la cité de Carcassonne était double. Chacune des portes était une massive forteresse, formée de deux tours dominant le fossé et entre lesquelles était placé le pont-levis.

Si la société du moyen âge était guerrière et féodale, elle était aussi chrétienne, et la foi religieuse fut enlaidie par des superstitions grossières et souillée de fanatisme persécuteur.

Ce fut la foi chrétienne qui inspira les artistes, comme elle provoqua les croisades. Si les castels féodaux du xiiie siècle sont des œuvres d’art, ils sont loin d’avoir la beauté et la variété des églises. Tandis que le temple antique était la demeure d’un dieu, le temple chrétien devait être un lieu de réunion : les monastères étaient des asiles de paix et de travail intellectuel en pleine barbarie guerrière.

Ce furent des abbayes clunisiennes que sortit une première forme de l’art chrétien du moyen âge : celle qu’on appelle l’art roman dont les exemplaires les plus fameux sont la Madeleine de Vezelay, Saint-Trophine à Arles, Saint-Sernin à Toulouse, Saint-Savin près Poitiers, Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand et le bijou d’Orcival, en plein massif des Mont Dore. Les moines sentaient l’utilité d’élever ces édifices, non pour eux-mêmes, mais pour les pélerins qui venaient en foule adorer les reliques et dont les aumônes faisaient la fortune des monastères.

À l’art roman, avant tout monastique, succéda l’art gothique, qui fut séculier et communal. Si l’art gothique était séculier, il n’était pas laïque. « Maîtres de l’Œuvre » et « Gens de l’Œuvre » travaillaient pour le

compte des évêques. Les églises étaient des « actes de foi », des « prières de pierre », selon l’expression de Michelet. L’église était un « livre ouvert pour la foule » selon Viollet-de-Duc, « le livre de l’ignorant », « une encyclopédie à l’usage de ceux qui ne savent pas lire » écrit S. Reinach.

Jules Bouniol, le très distingué professeur d’histoire, s’exprime ainsi sur l’architecture romane et son expression ne revêt pas la sécheresse d’une description faite par un architecte :

« Quand le christianisme eût triomphé des anciens dieux, les Chrétiens se réunirent pour célébrer leur culte, non dans les temples romains trop petits, mais dans des basiliques. C’étaient de grandes salles qui servaient à la fois de palais de justice, de marchés couverts et de lieux de réunion. La basilique était de forme rectangulaire, divisée en trois parties par deux rangées de colonnes, qui supportaient avec l’aide des murs la charpente et la toiture. Au fond de la salle, derrière le siège du magistrat, le mur était arrondi de manière à envelopper un espace demi-circulaire qu’on appelait abside. Durant les premiers siècles du moyen âge, jusqu’au xe siècle, on construisit des églises sur le plan de ces basiliques. Dans les grands troubles qui suivirent la mort de Charlemagne, beaucoup furent brûlées. Dès le début du xie siècle, l’ordre s’étant un peu rétabli, on voulut les reconstruire, mais au lieu de les refaire telles qu’elles étaient autrefois, « on les changea en mieux » (in meliora permutavere), dit le moine Raoul Glaber. On remplace les charpentes par des voûtes en pierre. Ces églises qui avaient échappé à l’incendie furent, elles aussi, remplacées. « On eût dit que le monde entier secouait et rejetait ses vieux haillons pour revêtir une blanche robe d’églises. » (Raoul Glaber). Ainsi naquit ce style architectural nouveau, et pourtant imité des modèles antiques, qu’un érudit moderne a appelé l’art roman, de même qu’on a appelé langue romane la langue intermédiaire entre le latin et le français.

« Le plan de l’église romane diffère peu du plan des basiliques anciennes : l’entrée est précédée d’un porche ou narthex, la salle rectangulaire est traversée par un autre rectangle le transept, ce qui donne au plan de l’église la forme d’une croix. Entre le porche et le transept s’étend la nef, flanquée de deux galeries plus basses, les bas-côtés, qui sont surmontés de tribunes. Au-delà du transept, le chœur, où se dresse l’autel et où prennent place les prêtres. Sous le chœur, généralement surélevé, une chapelle souterraine ou crypte renferme les tombeaux des saints. Autour de l’abside, derrière le chœur, une demi-couronne de chapelles « rayonnantes », une tour ou clocher se dresse au-dessus de la croisée (du croisement) de la nef et du transept, deux autres au-dessus du porche.

« De tous les traits du signalement des églises romanes, le plus apparent est la forme arrondie en plein cintre des portes, des fenêtres, de la plupart des voûtes. Mais c’est la mode de construction des voûtes qui caractérise surtout l’art roman.

« On ne voulait plus de couverture en charpente. Or il était très difficile pour des architectes inexpérimentés comme ceux du xie siècle, de construire une voûte recouvrant un vaste édifice. Leurs premiers essais ne furent pas heureux, beaucoup d’églises s’écroulèrent. Ils devinrent plus habiles. Les édifices romans présentent trois types de voûte : la voûte d’arête, empruntée aux Romains, formée de quatre triangles concaves ; la voûte en coupole, empruntée aux Byzantins, formée d’une calotte demi-sphérique que des triangles concaves relient à de solides piliers, et la voûte en berceau, plus originale, car les Romains ne l’avaient employée que