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Alexandre est inférieur à Annibal, sauf dans l’ampleur des projets. L’art militaire tombe en décadence jusqu’au xviiie siècle, où il est relevé par Frédéric II qui reprend les méthodes grecques et carthaginoises. L’élan se poursuit pendant la Révolution et culmine avec Napoléon dans les années 1805 et 1806, après quoi commence la décadence. De 1815 à 1870, l’armée tombe dans le marasme. De cette époque, datent les exercices mécaniques destinés à masquer l’oisiveté de l’armée.

En 1870, l’armée française applique les procédés des guerres africaines et le formalisme qui l’empoisonnait est loin d’avoir disparu aujourd’hui.

On a vu, par cet exposé rapide mais exact, que l’armée, au cours des siècles, n’a cessé de se développer et de se fortifier.

Qu’elle fût au service des rois ou des empereurs, elle n’a jamais failli à sa mission qui est de maintenir et de renforcer la domination des privilégiés d’ici-bas.

Mais, depuis un demi-siècle, son rôle a pris plus d’importance, au fur et à mesure que s’est accrue la puissance capitaliste.

Sans cesse au service du patronat, elle est la véritable sauvegarde de ce régime qui accorde tout aux uns (les riches) et refuse tout aux autres (les prolétaires) ; elle est le bouclier nécessaire, la cuirasse indispensable, qui protègent le coffre-fort des repus contre les assauts redoutés des affamés. Qu’on veuille bien, pour se convaincre de cette vérité, fouiller le passé. On verra que depuis cinquante ans, bon nombre de conflits qui ont mis aux prises ouvriers et patrons se sont terminés dans le sang.

Et, naturellement, ceux qui tombaient, se trouvaient toujours du même côté de la barricade : c’étaient tous des ouvriers qui, d’un même élan, d’un même cœur, s’étaient dressés pour revendiquer leurs droits.

L’armée dans les grèves ! Joli tableau ! Des femmes, des hommes, qui depuis de longs jours, mènent une lutte ardente contre leurs exploiteurs, des êtres humains qui subissent des privations, endurent mille souffrances pour arriver à triompher d’un capitalisme rapace et peu accessible aux arguments sentimentaux, descendent un beau jour dans la rue, pour clamer leur misère et manifester leur volonté de « vivre en travaillant ». Ils sont exaspérés, c’est assez naturel. La souffrance aigrit les caractères et exacerbe les colères. La troupe s’en mêle, beaucoup d’énervement chez les grévistes et pas mal de mécontentement chez les soldats qui préfèreraient être ailleurs.

Il suffit d’un léger incident causé bien souvent par un agent provocateur pour que le sang coule et qu’on ait à enregistrer des morts et des blessés.

C’est ce qui s’est passé dans diverses grèves à la Ricamarie, quelques années avant la guerre de 1870.

Le 1er  mai 1891, il y eut Fourmies — de sinistre mémoire. — Il y eut des morts, des blessés, mais le commandant Chapuis prononça ces paroles historiques : « Les Lebels ont fait merveille ». C’était tout au début de l’armement de l’armée française par le fusil Lebel !

Nous avons eu Raon-l’Étape, Châlon-sur-Saône, Limoges, La Martinique, Narbonne, Draveil-Vigneux, Villeneuve-St-Georges.

Cependant, il arrive que des régiments, tel le 17e, refusent de tirer sur les grévistes. C’est alors que l’armée, dans des cas semblables, n’est plus à la hauteur de son rôle et donne quelque inquiétude aux gouvernants.

Aussi, ces derniers, pour ne pas voir se renouveler de telles pratiques, usent-ils d’un autre procédé, plus pacifique, sans doute, mais qui n’en sert pas moins les intérêts capitalistes.

Le gouvernement utilise la troupe comme… main-d’œuvre dans les usines où l’on chôme et dans les services publics, s’il y a grève des services publics.

Une première tentative de ce genre fut faite en 1905. Il s’agissait de remplacer les électriciens en grève. Vite, les électriciens et mécaniciens appartenant au 24e bataillon du 5e génie furent invités à remplacer les ouvriers défaillants dans les centrales et sous-stations électriques. Pendant la grève des postiers, en 1909, on fit instruire un détachement de télégraphistes du 24e bataillon du 5e génie, caserné au Mont-Valérien, pour l’emploi de l’appareil Baudot et on envoya ces télégraphistes au Central-Télégraphique, rue de Grenelle.

En 1910, M. Briand qui était président du Conseil, fit mieux. Il mobilisa les cheminots… en grève !  !  !

Le colonel Picot, député, a si bien compris l’inconvénient qu’il y a dans les grèves d’opposer l’armée à la classe ouvrière, qu’il a dit tout récemment, à la Chambre : « Il faut qu’on augmente le nombre des gendarmes pour que, en aucun cas, nous n’ayons à mettre la troupe en contact avec le peuple. »

Qu’on sache bien que si l’armée n’était pas plus prête à faire la guerre en 1914 qu’en 1870, elle est toujours prête à combattre la révolution.

En fait, combattre l’ennemi du dedans — en l’occurrence la classe ouvrière — est beaucoup plus facile que combattre l’ennemi du dehors.

Pour mener à bien la lutte contre des ouvriers, les officiers n’ont pas à faire preuve de connaissances stratégiques extraordinaires. Les vieux colonels qui remportent de faciles victoires dans des grèves, en commandant leurs régiments, n’ont pas à mettre leurs méninges à contribution pour la réalisation de tels succès.

Le vice initial de l’armée est le suivant : Les fins militaires de défense nationale sont subordonnées aux fins politiques de défense gouvernementale.

C’est pourquoi le Gouvernement réclame 60.000 gendarmes au lieu de 30.000 !

Le service à long terme, les exercices ridicules de caserne prouvent donc, sans qu’il soit nécessaire d’insister, que les dirigeants tiennent à avoir sous la main, une armée prête à réprimer les émeutes et à mater les révoltes toujours possibles d’un prolétariat dont les conditions d’existence n’ont fait que s’aggraver depuis l’armistice.

La dernière guerre qui devait tuer la guerre (!  !  !) n’a rien tué du tout.

On peut s’en rendre compte par les effectifs qu’entretiennent — et à quel prix ! — les armées des grandes puissances du monde.

Jetons, par curiosité, un regard sur lesdites armées et constatons, non sans effroi, l’énormité des budgets consacrés à leur entretien.

Les chiffres que nous donnons ci-dessous sont authentiques et ne souffrent aucune contestation.

Les militants désireux de lutter avec efficacité contre le militarisme pourront utiliser ces chiffres. Mieux que n’importe quel discours, ils montrent à quel degré d’aberration sont parvenues les nations dites civilisées — huit ans après la fin du grand carnage.

Angleterre. — En 1914, le budget était de 86.028.000 livres. En 1925, il est de 122.000.000 livres. L’armée actuelle comprend 14 divisions territoriales composées de volontaires. La durée du service est de 30 ans. Il y a 6 divisions régulières. Les corps d’armée ne sont représentés que par des cadres. Il n’y a pas de mitrailleuses à l’intérieur des bataillons.

Le 1/3 de l’armée est aux Indes.

L’Angleterre a supprimé le service obligatoire, très impopulaire. Les dépenses proviennent surtout de l’augmentation du matériel. (Pendant la dernière guerre, l’Angleterre n’a eu sur le front que 100.000 hommes provenant de la Grande-Bretagne, 200.000 fournis par le reste de l’Empire et 12.000 indigènes. 39 % des troupes étaient non combattants. Il y avait dans les services de