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active et quelques classes de disponibles. Ce recrutement des militaires de carrière et des employés civils se heurtera à des difficultés insurmontables.

L’armée se trouve dans un état lamentable qui résulte de l’absence de statut, de l’insuffisance des soldes, de la fatigue de la guerre, des ambitions, des rancœurs. La propagande fasciste a réalisé des progrès dans le corps d’officiers, la propagande communiste parmi les soldats. Les contingents coloniaux sont de mauvaise qualité et de loyalisme douteux. Au Maroc, les soldats font une sorte de grève devant l’ennemi. Les cadres marquent une répugnance pour les expéditions extérieures. Ce déchaînement des appétits donne lieu à des scandales qui ont été signalés avec violence par la revue Armée et Démocratie, organe des officiers et sous-officiers radicaux et socialistes.

Le Haut Commandement est en proie à de profondes divisions. L’échec retentissant du maréchal Pétain au Maroc est l’objet de commentaires malveillants. Le Haut Commandement continue à imposer ses volontés au pouvoir civil.

Le moral des chefs. — Les ¾ des officiers de l’armée française sont réactionnaires et cléricaux. Bon nombre d’entre eux assistent régulièrement aux offices et vont à confesse.

Il n’est pas douteux qu’un mouvement fasciste recevrait leur approbation. Bien mieux. Il est probable que ces messieurs n’attendent que le moment favorable pour mettre à exécution leurs desseins : le renversement de la République et l’instauration du fascisme, comme en Italie.

Les gouvernants républicains (?  ?  ?) se font les complices de ces factieux en les maintenant à leurs postes et au besoin, en leur accordant toutes sortes de faveurs dont l’avancement constitue la récompense habituelle.

La mobilisation industrielle. — C’est le dernier point qui nous reste à examiner. Des notes que nous avons sous les yeux, nous relevons celle-ci concernant ce problème : Celui-ci se rattache, naturellement, au problème de la guerre. Elle est étudiée par le secrétariat particulier du Conseil supérieur de la Défense Nationale. Elle consiste à déterminer le matériel que les usines fabriqueraient en cas de guerre et à leur affecter dès le temps de paix, le nombre d’ouvriers nécessaires.

En temps de paix, les usines de l’État fabriquent le matériel de guerre (Tulle, Châtellerault, Saint-Étienne, Bourges) ainsi que des entreprises civiles qui reçoivent des commandes (Le Creusot, Saint-Chamond, Renault, Berliet, Bréguet). En temps de guerre, la plupart des usines sont réquisitionnées par l’État.

La grosse question est celle du charbon, qui exige la liberté des mers. Le déficit annuel est de 30 millions de tonnes.

Une grande usine doit pouvoir fabriquer 10.000 obus par jour.

Ces établissements de l’État servent d’instructeurs aux entreprises privées.

La mise en train est longue : on prévoit cinq mois pour les fabrications faciles, 10 mois pour les autres.

En 1914, le désarroi fut complet, on prévoyait une guerre courte et une faible consommation. Il fallut rechercher les ouvriers et les rappeler aux usines, surtout les ajusteurs et les tourneurs.

En 1915, janvier, il y avait déjà 100.000 hommes dans les usines. Ce chiffre monta bientôt à 400.000. Les industriels avaient le droit de faire revenir leurs ouvriers.

Les inspecteurs du travail furent rappelés et transformés en contrôleurs de la main-d’œuvre avec le grade d’officiers. 66 contrôleurs et 400 aide-contrôleurs.

Fin 1917, il y avait 460.000 ouvriers civils et 430.000 femmes, plus des manœuvres, (sénégalais, indo-chinois, suédois, espagnols, suisses), les chinois donnèrent des

mécomptes. Les prisonniers de guerre furent affectés aux travaux pénibles et délicats (chutes d’eau, thermomètres médicaux).

En général on prépare sous le nom d’organisation du pays en temps de guerre, une colossale mobilisation de toutes les ressources : industrie, agriculture, commerce et même professions libérales.

Conclusion. — Le lecteur nous rendra cette justice que nous n’avons ménagé ni nos efforts ni notre temps, pour lui donner une étude aussi substantielle que possible de l’Armée.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir tout dit.

Nous avons fait ce que nous avons pu, mais ce que nous avons fait, nous l’avons fait consciencieusement, avec le désir d’être utile aux militants qui auront à mener le dur combat contre la société capitaliste et son meilleur rempart : l’Armée.

L’Armée, certes, est une institution que doivent détester les travailleurs et tous les esprits vraiment libres, car l’Armée, auxiliaire active, constante, permanente, de la classe privilégiée, ne peut servir que les intérêts particuliers de cette classe au détriment de leurs intérêts vitaux. Mais si notre devoir est de haïr l’Armée, et de la combattre sans jamais nous lasser, réservons surtout nos coups à l’Institution plus néfaste que les hommes qui ne sont que des instruments.

Si nous devons lutter contre l’Armée, c’est aussi parce que l’Armée, c’est la Guerre, la Guerre toujours possible !

Au lendemain du plus terrible des fléaux que le monde ait jamais connu, il est juste que des hommes au cœur généreux et bon fassent le serment de lutter sans répit comme sans défaillance contre la Guerre qui, malgré Locarno et toutes les promesses de paix, peut surgir brusquement et exercer les ravages que l’on sait.

La prochaine serait terrible : on assisterait à une débauche inouïe de gaz et jamais l’aviation n’aurait été à même de remplir aussi rapidement sa mission meurtrière.

Non, n’est-ce pas ? Assez de deuils ! assez de veuves ! assez d’enfants sans père ! assez de ruines ! assez de misères physiques et morales ! Le sang, pendant plus de quatre ans, n’a que trop coulé ! Il est temps que la raison ne soit plus seulement l’apanage de quelques milliers d’individus clairvoyants mais… impuissants, parce que trop faibles numériquement et insuffisamment organisés.

Par notre propagande inlassable, nous pouvons faire beaucoup contre la Guerre !

Soyons persuadés que nous ne serons jamais trop nombreux pour terrasser cette hydre et la mettre à jamais hors d’état de nuire. Le monstre a la vie dure et il ne veut pas mourir.

Et puisque nous ne voulons pas mourir à sa place, vaincus par lui, n’hésitons pas, par nos efforts tenaces et notre ardeur désintéressée à rallier à la noble et saine cause antimilitariste tous ceux dont nous pourrons éveiller la conscience et toucher le cœur.

Lucien Léauté.

(Voir Caserne, Conseil de Guerre, Discipline, Guerre, Militarisme.)

Revue à consulter : Armée et Démocratie (revue technique, corporative et politique, directeur : Colonel Charras, rédaction et administration, 62, rue de Montrouge, Gentilly), n’est pas évidemment, une revue… antimilitariste.

Cependant, je ne saurais trop en recommander la lecture aux militants sérieux qui désirent se documenter et veulent savoir ce qui se passe dans le monde militaire. Armée et Démocratie dénonce bien des abus, combat bien des jésuites et soulève bien des voiles.

L. L.