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Solon. Si elle sut défendre énergiquement son indépendance, elle sut être accueillante aux étrangers et, quand ils furent Solon, Périclès, Miltiade, Thucydide, Platon, elle en retira une gloire éternelle. Ce qu’on appelle « la grande époque de la Grèce » a été l’époque la plus rayonnante de l’humanité. Ne faisant alors la guerre que pour défendre sa liberté, la Grèce avait assuré à Marathon et à Salamine la sécurité de ses citoyens et la possibilité de s’épanouir dans une paix heureuse. C’est alors qu’elle se couvrit de temples, de théâtres, de statues. « Alors, Phidias et tant d’autres illustres sculpteurs ciselèrent dans le beau marbre de l’Attique et des îles ces admirables formes humaines et animales qui sont restées pour nous les types mêmes de la beauté… Les artistes de la Grèce eurent un sens merveilleux de la mesure et de la forme… Ils représentèrent vraiment un idéal de l’homme, dans le parfait équilibre de sa force et de sa grâce, de sa noblesse et de sa beauté » (É. Reclus.). La même perfection se retrouve dans les figurines de Tanagra, les aiguières, les amphores, les vases découverts dans les temples et les tombeaux. L’architecture dorique primitive représente la Grèce tout entière, son ciel, ses paysages, et semble avoir jailli spontanément de son sol. Elle est restée la plus simple et la plus pure de toutes par l’harmonie profonde qui se dégage de tout ce qui la compose.

La pensée avait pour s’exprimer la plus belle des langues et l’œuvre des poètes, des dramaturges, des historiens, fut tout aussi admirable. « La cause première du développement de la pensée qui caractérise la Grèce doit être cherchée dans la faible influence de l’élément religieux » (É. Reclus). La mythologie grecque se renouvelait incessamment au gré de l’imagination, sans que des prêtres eussent à l’enseigner et à l’interpréter. Les prêtres ne devinrent réellement puissants que lorsque la Grèce eut perdu son indépendance, mais aucun livre sacré n’imposa des lois divines pour retarder l’évolution intellectuelle et morale. La religion grecque plongeait ses racines dans l’animisme primitif qui peuple de génies l’univers entier. Elle était la nature en qui les dieux et les hommes se confondaient et qu’interprétaient les poètes. Elle avait pour principe « l’autonomie de tous les êtres et reconnaissait implicitement que toute chose est vivante, affirmant déjà ce que la science moderne a reconnu : l’indissolubilité de la vie sous tous ses aspects, matière et pensée » (É. Reclus). La philosophie grecque prit, avec cette liberté de penser, un essor incomparable, s’affranchissant de tous les despotismes et abolissant toutes les distinctions sociales. Certains, parmi les plus grands philosophes, furent des esclaves qui s’imposèrent au respect de tous par la dignité de leur vie. Un Diogène, retiré dans son tonneau, se proclamait « citoyen de la Terre » et raillait le grand Alexandre dans toute sa gloire militaire. « Jamais le principe de la grande fraternité humaine ne fut proclamé avec plus de netteté, d’énergie et d’éloquence que par des penseurs grecs ; après avoir donné les plus beaux exemples de l’étroite solidarité civique, les Hellènes affirmèrent le plus hautement le principe de ce qui, deux mille ans après eux, s’appela « l’Internationale » (É. Reclus).

La civilisation grecque se répandit dans tous les pays environnants et, lorsque les Romains firent la conquête de la Grèce, elle avait étendu ses lumières et sa beauté dans tout le monde connu. En Égypte, Alexandrie était devenue une nouvelle Athènes et c’est en hommage à la Grèce que des missionnaires de Bouddha y apportaient, de l’Inde, des paroles de paix et de salut.

Si les Romains conquirent la Grèce par les armes, les Grecs conquirent Rome par les arts. Déjà, avant la fondation de cette nouvelle ville, la Grèce avait forte-

ment influencé l’Étrurie. D’après la légende, les fondateurs de Rome ont été les descendants des compagnons d’Énée dans la guerre de Troie. D’autres, qui occupaient l’endroit où devait s’élever le Capitole, se disaient issus d’Hercule. Les Grecs, réduits en esclavage, apportèrent à Rome leurs mœurs, leurs sciences et leurs arts. Ils provoquèrent l’éveil de la littérature latine et la firent échapper à l’étroite discipline militaire et religieuse. Lucrèce fut, par son œuvre si humaine, plus grec que romain.

Rome, en étendant sa conquête sur tout le monde connu des anciens et en élargissant les limites de ce monde, élargit aussi le domaine de la pensée et de l’art grecs. Elle créa une véritable unification de la civilisation chez tous les peuples en leur apportant ses institutions politiques et l’œuvre de ses savants et de ses artistes.

Si les civilisations dont nous venons de nous occuper sont celles qui nous intéressent le plus directement comme ancêtres de celle d’Europe, il ne faut pas oublier que d’autres se développèrent dans le même temps sur d’autres parties du globe. Il en fut de très avancées en Chine et dans l’Inde. Lorsque Christophe Colomb et ses successeurs furent en Amérique, ils trouvèrent chez les Indiens une civilisation remarquable et un art très développé qui leur méritaient un autre sort que l’extermination barbare poursuivie contre eux.

L’avènement du Christianisme entraîna pour une très longue période la décadence de l’art dans tous les pays où il se répandit. « La barbarie dans l’art précéda les barbares » (G. Boissier). « Cette religion des prolétaires révoltés qui débuta, au cri de l’apôtre Paul, resta longtemps fidèle à ses origines par sa haine de la science, toujours qualifiée de « fausse » et de « prétendue », et par son impuissance à se manifester sous une forme artistique autre que la véhémence oratoire » (É. Reclus). On dit d’abord de Jésus, puis de sa mère, qu’ils avaient été laids, condamnant ainsi en leurs personnes le culte de la beauté. Jusqu’en plein moyen-âge, des conciles réprouvèrent l’art et les artistes. Les pères de l’Église lancèrent contre le théâtre des condamnations qui pèsent encore sur lui. « L’art dit chrétien fut, en réalité, purement païen jusqu’à l’époque où l’hérésie força les portes de l’Église » (É. Reclus). Avec le concours des empereurs du bas-empire romain et celui des barbares, le Christianisme apporta la dévastation dans l’œuvre artistique de l’antiquité. Constantin ordonna de détruire les temples et les statues. « Dans toute l’étendue de l’empire, le marteau, le pic retentissent. Des légions sont envoyées contre des pierres » (E. Quinet). On ne respecta que les édifices et les statues pouvant servir à la nouvelle religion, celle-ci s’adaptant aux formes païennes, particulièrement aux fêtes, pour s’attacher plus facilement les populations. Un siècle après, le Christianisme s’étant définitivement implanté. Théodose II commanda la destruction de tous les temples et sanctuaires païens « s’il en restait encore ». Le visigoth Alaric, devenu chrétien, après avoir reculé devant le Parthénon, mit le feu au temple d’Éleusis et dévasta Rome en 410, faisant dire à Saint Jérôme : « Le flambeau du monde s’est éteint et, dans une seule ville qui tombe, c’est le genre humain tout entier qui périt. » Au siècle suivant, le pape Grégoire « le Grand » fit brûler la bibliothèque du Palatin, détruire les derniers monuments de Rome et chasser les derniers savants. « Le paganisme ayant disparu, l’Église nouvelle resta assise sur des ruines » (E. Quinet). « Lorsque les Chrétiens arrivèrent au pouvoir, ils ne conservèrent, outre ce que le hasard épargna, que les livres nécessaires à l’enseignement scolaire… Toute la poésie latine, d’Ennius à Sidoine Apollinaire, tint en deux volumes in-folio, mais presque tout le second tome est donné aux poètes chrétiens. Les Grecs n’ont