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tique, l’armée, la diplomatie, le capitalisme, etc… etc… Il est des calamités naturelles que la volonté de l’homme est impuissante à combattre : tremblements de terre, inondations, cyclones, etc… Mais les calamités que nous avons citées plus haut sont purement artificielles et peuvent être évitées par la volonté ferme des classes laborieuses. Le jour où le peuple se débarrassera de ceux qui vivent du malheur public, ce jour-là les calamités artificielles disparaîtront automatiquement.


CALOMNIE. s. f. Faux bruit, invention malveillante que certains individus colportent, imputant de mauvaises actions à des gens qu’ils veulent discréditer. La calomnie est une arme vile et abjecte employée de tous temps par les envieux, les esprits bas et sans scrupule, les gens d’église, de politique et de Pouvoir à l’égard de ceux qui militent en contempteurs de toute autorité, et qui ne peuvent se résoudre à garder pour eux seuls une vérité bienfaisante à tous.

Tour à tour, les premiers chrétiens, les Juifs, les protestants, les socialistes et les anarchistes furent en butte aux accusations les plus stupides, en même temps que les plus ignobles, de la part de ceux dont ils dérangeaient les plans et contrariaient les appétits. C’est ainsi qu’à Rome, quand les disciples de Paul de Tarse eurent fait d’assez grands progrès moraux dans la population, le gouvernement de Néron fit circuler sur leur compte mille histoires horribles. On les accusait de tuer les petits enfants, de manger de la chair humaine, de comploter contre la vie des gens, de prêcher le vol, le viol et le meurtre. Ce qui faisait que grâce à ces légendes, le peuple était heureux d’aller au cirque pour assister aux supplices des chrétiens. Quand Néron ordonna l’incendie de Rome, il réussit pendant près d’un an à faire croire au peuple que c’étaient les chrétiens qui avaient commis ce crime, tant était grande la puissance de la calomnie savante et réitérée des caudataires du César. Lorsque, grâce à la conversion de Constantin, les chrétiens parvinrent à partager avec l’empereur l’autorité toute-puissante, les prêtres de la nouvelle église oublièrent totalement le martyrologe de leurs devanciers.

À leur tour ils manièrent de main de maître la calomnie. Ce furent tout d’abord les Juifs qui furent choisis comme victimes ― et l’on peut dire qu’en cette occasion, le travail des prêtres réussit au-delà de toute espérance, car aujourd’hui encore on colporte sur les hébreux les pires infamies ― même dans les milieux qui échappèrent depuis à l’emprise catholique, on fait du mot « juif » un terme de mépris. Cette campagne persévérante eut quelquefois de sanglants résultats : les pogroms russes et polonais sont les plus frappants exemples de l’état d’égarement dans lequel l’église catholique sut plonger les crédules. Plus tard, ce furent les protestants qui subirent l’assaut. À cette occasion se forma une secte qui devint célèbre. Un ancien soudard espagnol : Ignace de Loyola, créa la « Compagnie de Jésus », qui avait comme but initial l’affermissement de la puissance ecclésiastique. L’arme principale de cette association fut naturellement la calomnie. On connait le discrédit qui s’attache maintenant aux disciples de Loyola, et le terme « jésuite » signifie la plus forte expression de répugnance que l’on puisse émettre quant à la valeur morale d’un individu. Caron de Beaumarchais, en créant son Don Bazile, a campé admirablement le jésuite, et l’axiome « Calomniez, calomniez ! il en restera toujours quelque chose » est devenu justement célèbre.

Ensuite, ce furent les républicains, puis les socialistes qui supportèrent lourdement le poids de la calomnie officielle. Et enfin, depuis une quarantaine d’années, ce sont les anarchistes qui se voient le plus implaca-

blement chargés de tous les méfaits imaginaires. Les anarchistes sont davantage accablés, parce que, adversaires implacables de tous les charlatans, ils voient se liguer contre eux toutes les forces religieuses et politiques. Il n’est pas un crime, pas un méfait qui ne se commette sans qu’on essaie de prouver que le ou les auteurs de ce crime ou méfait est un anarchiste.

Disons que malgré cela, petit à petit la vérité se fait jour grâce à l’inlassable propagande des militants et que les exploités commencent à comprendre que les anarchistes sont encore leurs meilleurs et leurs seuls véritables amis.

Mais il n’y a pas que sur le terrain politique ou philosophique que la calomnie est employée. Journellement, dans.les rapports les plus intimes, pour les motifs les plus futiles (quelquefois, même, sans motif aucun), l’arme empoisonnée est dirigée contre quelqu’un qui n’en peut mais ! Les méchants, les jaloux, les êtres faibles et nuls manient avec vigueur cette incomparable auxiliaire de la vilenie, de l’envie et de la médiocrité. Le plus souvent la calomnie _ rampe lentement et met un temps infini à parvenir aux oreilles du calomnié. C’est d’abord un racontar, une incrimination qui, au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de son point de départ se mue en affirmation, puis en accusation. De bouche en bouche, le bruit, faible d’abord, ne tarde pas à devenir un tonnerre. Alors, le mal fait est Irrémédiable. Comme il est rare que l’on puisse remonter à la source exacte d’une calomnie, on lui prête une quantité infinie d’auteurs et, en vertu de ce proverbe inepte : Il n’y a pas de fumée sans feu, les gens qui se sont faits les récepteurs de la calomnie y croient dur comme fer et ne se privent pas de la transmettre « sous le sceau du secret »… pour qu’elle circule plus vite. Et le plus terrible, c’est qu’aucune preuve, si magistrale, si péremptoire fût-elle, ne peut détruire l’ouvrage monstrueux accompli par le propagateur de ragots… C’en est désormais fini pour le calomnié. S’il n’a pas eu l’heur de trouver le calomniateur au début du méfait, il verra toute sa vie empoisonnée par la flèche venimeuse qu’un criminel lui aura lancée et que la stupide crédulité et la lâche passivité des autres auront ancrée en lui.

Pour être calomniateur, point n’est besoin d’avoir inventé la basse besogne. Pour avoir sur la conscience le poids d’une vilenie, nul besoin n’est d’être soi-même l’auteur de cette vilenie. Celui qui entend une accusation monstrueuse contre un autre est aussi un calomniateur s’il n’exige pas des preuves et se rend, par cela même, complice de la calomnie. Point n’est besoin. même, de s’être fait le propagateur d’une affirmation infamante pour avoir droit à l’épithète de calomniateur. Il suffit simplement d’avoir entendu une accusation contre quelqu’un, et de ne pas avoir prévenu la victime, de ne pas avoir essayé de mettre en face l’accusateur et l’accusé, pour s’être, par un silence passif, fait le complice de la mauvaise action. Et c’est souvent pire qu’une mauvaise action, c’est un véritable crime que la calomnie. Toute une vie de labeur, de droiture et d’abnégation peut être détruite par une assertion, et la victime terrassée n’a plus qu’a essayer la besogne titanesque de réduire à néant l’œuvre infâme. Elle en sortira meurtrie, broyée et sanguinolente, elle aura connu toute l’amertume des reniements d’amitié, toute la douleur de se voir trahi et sali et l’horrible, l’indescriptible souffrance de se sentir injurié, suspecté, même dans les actions les plus nobles et les plus désintéressées. Car la mentalité de nos contemporains est ainsi faite qu’elle accepte difficilement un récit montrant quelqu’un comme un être d’élite, mais qu’elle accueille avec une avidité déconcertante tout ce qui tend à avilir et à dégrader un quelconque personnage. Et c’est là une constatation qu’on peut faire