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orphelins, aux maîtres et par dessus le marché au système de la coéducation, « système contraire à tous les principes de la morale ». « Robin contamine les enfants du peuple en les initiant aux théories préconisées par Épicure et le marquis de Sade » ; cet ignoble polisson a converti l’orphelinat Prévost en maison de tolérance » ; « Tas de pourceaux » ; « L’aquarium de Cermpuis » ; « École municipale de Cythère » ; « Abominable fripouille dont la méthode soit-disant philosophique consiste à faire des expériences lubriques sur des petits innocents sans défense, sans appui, sans protection, etc… »

« N’est-on pas édifié par la vertueuse indignation de ces âmes pures ? Au fond, la morale est leur moindre souci. Ils sentent, et avec raison d’ailleurs, quel coup terrible le système de la coéducation, victorieux, porterait à la domination de l’Église ». F. Numietska : La Coéducation.

Une enquête fut ordonnée. « Enfin le 30 août 1894, le ministre de la Justice, M. Guérin, dont le fils fréquente l’école des frères, 44, rue de Grenelle-Saint-Germain » et M. Georges Leygues, qualifié en la circonstance comme ayant fait des études spéciales sur les dangers et… les charmes de la promiscuité, signent la révocation de Robin ». F. Numietska : La Coéducation.

À quelques années de là, la lutte des forces cléricales devait être plus violente encore contre Ferrer.

Il est vrai que ce fut à Barcelone, dans la catholique Espagne, qu’en mai 1901 Francisco Ferrer ouvrit « L’École Moderne » avec douze fillettes et dix-huit garçons. « L’École Moderne » grandit ; cinquante écoles analogues furent créés en cinq ans.

L’attentat de Morral contre Alphonse XIII fut le prétexte de la fermeture de ces écoles et de l’emprisonnement de Ferrer. Après treize mois de prison préventive, et à la suite de vives protestations qui se firent entendre par toute l’Europe, Ferrer, innocent, fut remis en liberté ; mais, à la suite de l’insurrection de Barcelone, à laquelle il n’avait cependant pris nulle part, il fut fusillé le 13 octobre 1909 à Monjuich. La réaction ne désarme et ne pardonne jamais.


Malgré l’opposition réactionnaire, et surtout sous l’influence des nécessités économiques, la coéducation a fait de sérieux progrès.

Aux États-Unis, elle est appliquée dans tout l’enseignement primaire avec un personnel féminin de 89 p. 100, à 95 p. 100 et des écoles moyennes officielles avec un personnel féminin de 73 p. 100. Certains pédagogues se plaignent des résultats obtenus dans ces écoles ; mais, selon d’autres pédagogues, la faute en serait à la trop faible proportion du personnel masculin et au fait que garçons et filles sont astreints à suivre un programme identique et trop encyclopédique.

La coéducation est également généralisée dans les pays du Nord : Norvège, Suède, Danemark, Écosse, mais le nombre des écoles mixtes diminuerait en Suède où l’on aurait constaté que les jeunes filles se surmènent. Ici encore la faute en serait à l’encyclopédisme et à l’uniformité des programmes.

En Russie, où les étudiants fraternisèrent toujours avec les étudiantes et où Tolstoï introduisit la coéducation intégrale dans son école de Jasnaïa Poliana, la coéducation est devenue obligatoire malgré quelques difficultés de début.

En Hollande et en Finlande, la coéducation est à peu près générale.

En Angleterre, en Allemagne et en Suisse l’enseignement primaire officiel est mixte à un pourcentage élevé, les jeunes filles peuvent accéder dans les écoles secondaires de garçons et à l’Université.

En Belgique, en France et en Australie, il y a un nombre de plus en plus élevé d’écoles mixtes.

En Italie, les écoles primaires rurales sont mixtes depuis 1911 et 90 pour cent des écoles secondaires sont ouvertes aux filles.

En Espagne, à Madrid, une école secondaire mixte est très florissante, les lycées de Madrid comptent 25 pour cent de jeunes filles.


La coéducation progresse, elle est soutenue par les partis avancés et les groupements féministes. La « Ligue Internationale pour l’éducation nouvelle » en a fait un de ses principes de ralliement.

Cependant elle a toujours des adversaires : réactionnaires de toutes sortes et aussi, qui l’eût cru, parfois des éducatrices.

Déjà en 1905 F. Numietska écrivait : « Une directrice d’école primaire, adressant un rapport officiel au Ministre de l’Instruction publique sur les Écoles d’Amérique, émet cette crainte que le garçon, répondant parfois moins bien en classe que telle ou telle fillette, ne se trouve devant elle en mauvaise posture, et que la future autorité du mari ne s’en trouve compromise ».

Mlle Loizillon qui présentait ce rapport a encore aujourd’hui des émules et c’est ainsi que Mlle Petitcol, sous-directrice, pour les jeunes filles, du collège mixte de Sarrebruck, soutient dans sa Revue Universitaire de décembre 1925, que l’institution des classes mixtes dans l’enseignement secondaire est regrettable, car, dit-elle, « les hommes sont faits pour agir, les femmes, pour subir. À voir les choses en gros, je dirai que, pour les uns, la « moelle », extraite à leur usage des belles œuvres, doit constituer une sorte de morale de l’action ; pour les secondes, une morale de soumission ».

Ainsi, pour Mlle Petitcol comme pour Mlle Loizillon, le régime de la coéducation est mauvais, parce qu’il favorise l’émancipation de la femme.


Avant de prendre parti pour ou contre la coéducation et, le cas échéant, pour ou contre certaines formes du régime coéducatif, il est indispensable que nous précisions notre idéal éducatif :

« Nous voulons éduquer l’enfant pour qu’il puisse accomplir la destinée qu’il jugera la meilleure de telle façon qu’en toute occasion il puisse juger librement de la conduite à choisir et avoir une volonté assez forte pour conformer son action à ce jugement. »

Ceci veut dire que nous sommes respectueux de la personnalité de chaque enfant ; que nous nous refusons à préparer des croyants d’une religion, des citoyens d’un État et des doctrinaires d’un parti. Il en résulte évidemment que notre idéal n’est pas de modeler des enfants selon l’idée que nous nous faisons d’un enfant modèle, mais d’aider à l’épanouissement de chaque individualité enfantine en tenant compte de ses intérêts et de ses capacités.

Nous sommes donc contre l’école qui sépare les sexes pour pouvoir préparer les jeunes filles à la soumission, mais nous sommes aussi, pour la même raison, contre tout régime scolaire, même coéducatif, qui ne tient compte ni des différences entre les sexes, ni des différences individuelles entre les enfants du même sexe.


L’école actuelle, avec ses programmes surchargés, avec ses méthodes collectives, est loin d’être cette « école sur mesure » que réclament certains pédagogues. Cependant, si des difficultés réelles ne permettent pas d’envisager une adaptation parfaite de l’école à chaque enfant, il serait possible, en réduisant les programmes