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sociales, mais il ne reconnaissait à celles-ci de valeur vraie qu’autant qu’elles diminuaient la puissance du capitalisme et tendaient à accroître la force émancipatrice du prolétariat. Il ne croyait enfin possible de s’appliquer utilement à les obtenir que par l’activité propre des salariés. »

Il y a gros à parier qu’aujourd’hui Jouhaux et ses amis ne soutiendraient pas pareille thèse.

Et pourtant, il fut des 825 qui se prononcèrent contre les 369 qui soutenaient, en 1904, la thèse de Keufer.

La Représentation proportionnelle, soutenue par Keufer et ses amis ne fut pas, non plus, acceptée. Là encore, le syndicalisme rompait avec la démocratie. C’est en 1904, à Bourges que fut envisagée l’action pour les 8 heures, qui devait trouver en 1906 les travailleurs prêts à imposer cette revendication par la grève générale.

Après les manifestations de 1889, les fusillades de Fourmies et de la Ricamarie, la journée de 8 heures cessa d’être une affirmation théorique pour devenir le but des efforts ouvriers.

Voici, à ce sujet, l’ordre du jour qui fut adopté par le Congrès de Bourges :

« Le Congrès, considérant que les travailleurs ne peuvent compter que sur leur action propre pour améliorer leurs conditions de travail ;

« Considérant qu’une agitation pour la journée de 8 heures est un acheminement vers l’œuvre d’émancipation intégrale ;

« Le Congrès donne mandat à la Confédération d’organiser une agitation intense et grandissante à l’effet que :

« Le 1er Mai 1906, les travailleurs cessent d’eux-mêmes de travailler plus de 8 heures. »

C’est à Bourges que remonte la véritable action pour les 8 heures en France.

Cette décision ne fut d’ailleurs pas suivie par toutes les Fédérations. Le Livre en particulier soutint les 9 heures et cela ne nuisit pas peu à la propagande et à l’action de la C. G. T.

Le Congrès de Bourges eut une importance énorme que Griffuelhes, alors Secrétaire de la C. G. T., — qui devait comme Pelloutier, marquer toute cette époque de son inlassable activité, de son énergie éclairée, — soulignait ainsi :

« Ce qui se dégage du Congrès, c’est le sentiment très net des militants français de mener un mouvement entièrement libre, subordonnant son action à ses propres besoins, créant la lutte en dehors de toute force extérieure et ne se préoccupant jamais que des intérêts ouvriers. »

Et c’est le Congrès d’Amiens, en 1906, qui devait confirmer de façon éclatante les décisions de Bourges.

C’est en effet à Amiens que fut mise debout la véritable Charte du syndicalisme autour de laquelle, en 1925, tourne tout le débat doctrinal et les discussions sur la reconstitution de l’Unité.

Battus dans les Congrès antérieurs, les politiciens guesdistes, les marxistes d’alors, tentèrent une offensive suprême. Elle fut habilement menée par Renard du Textile qui devait la renouveler, toujours sans succès en 1908 à Marseille, à Toulouse en 1910 et au Havre en 1912. Il y avait des syndicalistes alors, hélas ! aujourd’hui, il y en a beaucoup moins.

Voyons comment les guesdistes tentèrent à Amiens de faire triompher leur point de vue. Reproduisons le texte, trop oublié, de leur résolution :

« Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;

« Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition — (le bulletin de vote) c’est moi qui ajoute et souligne — afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs ;

« Considérant que les élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;

« Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que dés relations s’établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste, par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de 8 heures, de l’extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’État ; pour provoquer l’entente entre les Nations et leurs gouvernements, pour la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum des salaires etc., etc

« Le Congrès décide ;

« Le Comité confédéral est amené à s’entendre, toutes les fois que les circonstances l’exigent, par des délégations intermittentes ou permanentes, avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher les principales réformes sociales. »

Renard ne proposait rien d’autre que les fameux Comités d’action dont on nous casse les oreilles aujourd’hui et qui doivent permettre au Parti communiste de prendre le pouvoir.

C’est autour de ce texte que s’engage avant le Congrès une campagne très vigoureuse dans tout le pays. Le parti socialiste voulait à tout prix triompher à Amiens. Nous connûmes la même offensive avant le Congrès constitutif de la C. G. T. à St-Étienne en 1922.

Mais avec cette différence qu’à Amiens les politiciens furent battus à plate couture, alors qu’ils vainquirent à St-Étienne 16 ans plus tard.

C’est Merrheim, des unitaires de Roubaix, appelé à cette époque au secrétariat de la Fédération des unitaires, qui lui donna la réplique et quelle réplique !

« Vous avez voulu, disait Merrheim, faire du syndicat un groupement inférieur, incapable de sortir de la légalité. Nous affirmons le contraire. Il est un groupement de lutte intégrale révolutionnaire et il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour enfanter le droit nouveau que nous voulons voir sortir de nos luttes. »

Naturellement, comme aujourd’hui, les orateurs de la tendance Renard dénoncèrent comme une action anarchiste celle que menaient les syndicalistes révolutionnaires.

Ce qui faisait dire à ces derniers : « On a trop parlé, déclara l’un d’eux, comme s’il n’y avait que des socialistes et des anarchistes. On a oublié qu’il y a surtout des syndicalistes. »

Le syndicalisme est une théorie sociale nouvelle, une doctrine particulière. Il faut, avec les Congressistes, se prononcer sur elle. Il faut qu’ils disent que cette doctrine est indépendante du socialisme et de l’anarchie.

Le Secrétaire général de la C. G. T. Victor Griffuelhes, prenant la parole le dernier, déclara :

« En réalité, d’un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et de l’autre ceux qui veulent l’autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir. Comment s’établirait cet accord fait de concessions mutuelles entre un Parti qui compte avec le Pouvoir, car il en subit la pénétration et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir ? Nos considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d’où impossibilité d’établir les rapports demandés. »