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éviter les querelles. Et aujourd’hui, plus que jamais, c’est autour d’elle qu’on se dispute.

Peu après Amiens, le mouvement confédéral devait connaître encore un autre péril. Ce fut l’époque de l’ « hervéisme » et Gustave Hervé qui, depuis… s’imagina un instant qu’il avait rallié le syndicalisme à ses théories. Les Congrès de Marseille en 1908 et de Toulouse en 1910, se chargèrent de détruire ses illusions.

Ce n’est pas en vain que le syndicalisme avait défini sa doctrine et son activité propres.

La charte d’Amiens fut encore confirmée en 1912 au Congrès du Havre, le dernier Congrès d’avant-guerre.

Après une longue discussion, souvent très âpre, sur l’orientation syndicale, le Congrès vota la résolution ci-dessous :

« Le Congrès, à la veille de reprendre, pour l’intensifier, l’agitation confédérale en vue de réduire le temps de travail, tient à nouveau à rappeler les caractères de l’action syndicale, de même qu’à fixer la position du syndicalisme ;

« Le syndicalisme, mouvement offensif de la classe ouvrière, par la voie de ses représentants, réunis en Congrès, seuls autorisés, s’affirme encore une fois décidé à conserver son autonomie et son indépendance qui ont fait sa force dans le passé et qui sont le gage de son progrès et de son développement ;

« Le Congrès déclare que, comme hier, il est résolu à s’écarter des problèmes étrangers à son action prolétarienne, susceptibles d’affaiblir son unité si durement conquise et d’amoindrir la puissance de l’idéal poursuivi par le prolétariat groupé dans les syndicats, Bourses du Travail, les Fédérations corporatives et dont la C. G. T. est le représentant naturel ;

« De plus, le Congrès évoquant les batailles affrontées et les combats soutenus, y puise la sûreté de son action, la confiance en son avenir, en même temps qu’il y trouve la raison d’être de son organisation toujours améliorable ;

« C’est pourquoi, dans les circonstances présentes, il confirme la constitution morale de la classe ouvrière organisée, contenue dans la déclaration confédérale d’Amiens (Congrès de 1906).

L’action confédérale fut aussi dirigée contre le militarisme, le patriotisme et la guerre. Le Congrès de Marseille (1908) en particulier vota une motion qui eut quelque retentissement.

« Le Congrès Confédéral de Marseille rappelant et précisant la motion d’Amiens ;

« Considérant que l’armée tend de plus à remplacer à l’usine, aux champs, à l’atelier, les travailleurs en grève, quand elle n’a pour rôle de les fusiller comme à Narbonne, à Raon-l’Étape et à Villeneuve Saint-Georges ;

« Considérant que l’exercice du droit de grève ne sera qu’une duperie tant que les soldats accepteront de se substituer à la main d’œuvre civile et consentiront à massacrer les travailleurs ;

« Le Congrès, se tenant sur le terrain purement économique, préconise l’instruction des jeunes pour que, du jour où ils auront revêtu la livrée militaire, ils soient bien convaincus qu’ils n’en restent pas moins membres de la famille ouvrière et que, dans les conflits entre le travail et le capital, ils ont pour devoir de ne pas faire usage de leurs armes contre leurs frères travailleurs ;

« Considérant que les frontières géographiques sont modifiables au gré des possédants, les travailleurs ne reconnaissent que les frontières économiques, séparant les deux classes ennemies, la classe ouvrière et la classe capitaliste ;

« Le Congrès rappelle la formule de l’Internationale :

« Les travailleurs n’ont pas de patrie ; qu’en conséquence, toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle est un moyen sanglant et terrible de diversion à ses revendications ;

« Le Congrès déclare qu’il faut, au point de vue international, faire l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire. »

Cette thèse, déjà soumise aux autres Centrales Nationales au cours des conférences internationales, ne fut jamais acceptée par les Allemands qui refusèrent de connaître l’antipatriotisme et l’antimilitarisme comme des questions intéressant le syndicalisme. Ceci prouve toute la différence qui existe entre le mouvement ouvrier français et tous les autres mouvements qui tous, à l’exception d’une partie des mouvements espagnol et italien, reposent sur la conception social-démocrate. C’est de cette incompréhension que découlera l’impuissance du mouvement syndicaliste de tous les pays belligérants en face de la guerre.

L’entrevue que Jouhaux et Legien eurent à Bruxelles fin juillet 1914 consacra cette impuissance. C’était la répétition plus brutale encore de l’entrevue Griffuelhes-Legien, à Berlin, en 1906, su sujet du premier conflit marocain qui en ce moment rebondit pour la troisième fois et risque d’ensanglanter le monde.

Lorsque j’étudierai ici l’action internationale du mouvement ouvrier français ; j’exposerai en détail ce que furent les Conférences et Congrès internationaux.

Nous voici maintenant à la veille de la guerre. La grève générale n’est point déclarée et la guerre éclate. Jaurès est tué par Villain le 31 juillet 1914 et la mobilisation est décrétée le 2 août.

Que va faire la C. G. T. ?

Impuissante à déclencher la grève générale va-t-elle rester neutre, en attendant l’heure de son intervention possible contre le fléau ou au contraire, emboîter le pas aux gouvernants ?

C’est là que se placent de dramatiques incidents. Le Bureau Confédéral a décidé de fuir, de gagner l’Espagne. Il a pour cela frété un bateau qui doit le conduire de la Rochelle à St-Sébastien.

Mais le gouvernement, a eu vent de ce qui se prépare. Il sait que si le Bureau de la C. G. T. quitte la France, c’est pour mener une action vigoureuse contre la guerre, de l’étranger. Le Ministre de la guerre, Messimy veut appliquer immédiatement le carnet des suspects dit « carnet B ».

Malvy, ministre de l’Intérieur, temporise pendant que Viviani, Président du Conseil, craignant une émeute par suite de l’assassinat de Jaurès, émeute qui rendrait la mobilisation impossible, lance une proclamation au Peuple, l’invite au calme et promet la punition du coupable.

Tous ces événements se déroutent à une vitesse vertigineuse. Là C. G. T. reste pour le gouvernement l’X mystérieux.

C’est alors que Malvy a une idée géniale autant que malfaisante. Il délègue auprès du Bureau confédéral un avocat jusqu’alors considéré comme socialiste révolutionnaire d’extrême gauche, très au courant des choses ouvrières, qu’on nous assure — sans que nous puissions l’affirmer — être M. Pierre Laval, ministre des Travaux publics, au moment où j’écris ces lignes (ce qui est de nature à renforcer notre conviction).

Cet avocat annonce au Bureau Confédéral que le gouvernement connaît ses projets d’embarquement et qu’il est décidé, par l’arrestation immédiate, à en empêcher l’exécution.

Le Comité Confédéral est réuni immédiatement. Il ne prend aucune décision. — Le Bureau est livré à lui-